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Du passé, faisons table rase ?



Les sages disent qu'ils faut vitre dans l'instant, c'est-à-dire oublier le passé, les remords, la nostalgie, les récriminations, le ressentiment, etc., et ne pas penser non plus à l'avenir, cette chimère dont nous ne pouvons rien savoir, et peu importe ! Se débarrasser des ruminations du passé et des spéculations de l'avenir, c'est donner toute son intensité à la seule réalité qui existe vraiment, le présent.

Comme cela est vrai, mais à condition de bien s'entendre, car ce qui compte, ce n'est pas de connaître la définition théorique du bonheur, mais le chemin pour y atteindre vraiment. Deux cas me viennent à l'esprit, celui des orphelins qui restent hantés la vie durant par le mystère de leur origine et celui du peuple antillais que j'ai un peu fréquenté : tous les romans martiniquais ont la forme d'une enquête généalogique qui butte sur un trou noir, sans jeu de mot : l'Afrique, la traite, la traversée de l'Atlantique. Dans les deux cas une identité ne peut se constituer sans une construction temporelle acceptée avec un minimum de fierté.

Pareil pour les fautes qu'on a commises ou que nos ancêtres ont commises. Un Allemand peut-il croiser un juif sans s'être demandé ce que son propre grand-père faisait en 1944 ? Un Français peut-il aller prendre ses vacances sur une plage des Antilles en prenant les noirs de là-bas pour des autochtones ? Un catholique ignorer de que fut la Saint Barthélémy ? Il serait trop facile de multiplier les exemples qui montrent que le passé ne doit pas être aboli, ce que font justement les régimes totalitaires, mais purgé !

On me dira à juste titre que nous ne sommes pas responsables de ce qu'ont fait nos ancêtres : le tout est que nous n'ayons pas hérité en quelque façon des sentiments de mépris, de supériorité, etc., qui les animaient, ce qui se produit souvent. Si les Allemands peuvent d'une certaine façon oublier le passé, c'est parce qu'ils ont fait un effort de mémoire exemplaire. Bien évidemment, ce qui est vrai en histoire est tout aussi vrai en psychologie à échelle micro.

Tout cela nous ramène à l'amour-propre : oublier le passé, ça veut dire en réalité avoir purgé les lésions de notre amour-propre et, comme ça s'applique à tout le monde, en plus des lésions dont on est victime, il nous faut penser à celles qu'on a provoquées et qu'on provoque encore chez autrui. Autant dire qu'on n'en finira jamais avec le passé, à la différence des enfants, des anges et des bêtes, ces êtres bienheureux, qui vivent dans l'instant.


Photo : les blés coupé à Ansouis le 17 juillet.

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