top of page

Que sauver de l'oubli ?


Lors de ma petite conférence de Vaugines mardi dernier, j’ai évoqué le personnage de Monsieur Vinteuil dans La Recherche. Vous vous en souvenez, mon lecteur ? Ce modeste professeur de piano allait chaque jour déposer une fleur sur la tombe de sa femme. À son veuvage s’est ajoutée la souffrance causée par sa fille dont les relations avec une autre jeune-fille faisaient grand scandale à Combray et que le narrateur a surprise crachant sur la photo de son père. Eh bien, figurez-vous, mon lecteur, que ce pauvre monsieur Vinteuil était un immense génie musical : le narrateur s’en est aperçu plusieurs années après sa mort en entendant chez les Guermantes le septuor bouleversant dont Vinteuil était l’auteur.

Comme j’avais évoqué le pessimisme de Proust et même son nihilisme sur les relations humaines, Sandra a fait remarquer dans la discussion qui a suivi la conférence que c’était grâce au labeur de Mlle Vinteuil et de son amie, au cours de longues nuits de veille, que les hiéroglyphes illisibles du septuor aveint été déchiffrés et transcrits et avaient pu donner une nouvelle vie à leur auteur. Un retour de la fille prodigue...

Au temps de la guerre froide mon père fut blessé dans son entreprise pédagogique par le panurgisme de ses collègues et élèves de khâgne qu’il ne pouvait retenir de se précipiter dans le stalinisme. Il aimait évoquer l’affaire Vinteuil comme il aimait nommer le pieux Énée qui, dans l’épopée de Virgile, s’échappa de sa patrie en flammes en portant son vieux papa infirme sur ses épaules.

Mes méditations de cet été ont beaucoup tourné autour de la crise de la transmission qui ne cesse de s’accélérer d’année en année. Je désherbe moi-même beaucoup ma bibliothèque et offre au recyclage bien des livres périmés grâce au container du coin de la rue. Que faut-il sauver de l’oubli ? Car ce ne sont ni les flammes de Troie, ni celles de Rey Bradbury qui menacent aujourd’hui le patrimoine, c’est tout simplement l’oubli, aidé, il est vrai, par la critique universitaire, fille du structuralisme et ennemie de toute historicité.

Conclusion : mettre les pages de Proust consacres à Vinteuil et à sa fille en tête des anthologies de la littérature française à l’usage des lycéens.

Mots-clés :

bottom of page