Bouddha, Jésus, Rousseau, Greta ?

Mais enfin pourquoi existe-t-il cette idée tenace, ce stéréotype même que la poésie, ce soit la nature avec un côté un peu mièvre et convenu, les petits oiseaux et le clair de lune, comme si pour fuir les conventions de la ville il fallait retomber dans une nouvelle convention vite usagée ? Et pour compléter ce mélo sur fond de violons, on ajoutera sans compter Amour, Mort et Infini.
Sous le classicisme il en allait autrement : quand on rimait, c'était pour orner la vie d'un monde qu'on ne discutait pas et dire les choses d'ici-bas gracieusement sans penser à s'évader dans un monde parallèle d'où on regarderait le commun des mortels avec pitié ou mépris. Et on se moquait bien de la nature.
En réfléchissant à la grandeur et à la misère du stéréotype romantique, j’ai repensé à une page de Pierre Leroux qui écrivait en 1839 :
Quand les premiers chrétiens s’éloignèrent des idoles et désertèrent les temples des païens, ils n’eurent d’abord pour temples que la voûte du ciel. « A quoi bon des temples pour qui conçoit la grandeur et l’unité de Dieu ? » disent à chaque instant les premiers Pères. Le christianisme commença par un retour vers la nature. Lisez, dans Minutius Félix, l’admirable entretien d’Octavius et de ses amis au bord de la mer, et jugez si le christianisme n’a pas débuté par là. Jésus lui‑même, dans l’Évangile, ne vit‑il pas dans la retraite, au bord des lacs, au sein des déserts, contemplant la grandeur de Dieu et la misère des hommes ?
Ne nous étonnons donc pas que toute la poésie de notre époque se soit réfugiée dans la nature. On s’y réfugie toujours, pour y prendre des consolations ou des inspirations, aux époques de renouvellement. Le plus grand peintre de la nature chez les anciens, Virgile, a déjà jusqu’à un certain point l’âme chrétienne. De Théocrite à saint Basile, qui aimait tant la nature, tout ce qui a une vie de désir se tourne avec passion vers la retraite. Rousseau, l’initiateur de ce mouvement, Rousseau fit sortir l’art des maisons et des palais pour l’introduire sur une plus grande scène. Sa poésie, sous ce rapport, est à la poésie de ses devanciers comme le lac de Genève est aux jardins de Versailles.
Leroux dit en somme que le Père du romantisme a refait dans sa retraite ce qu’avait fait le Père du Christianisme. Voilà qui éclaire bien les choses. Je ne sais s’il y a tant d'exemples remarquables d’une contestation de l’iniquité sociale à partir du belvédère fourni par la nature. Bouddha sans doute… Aujourd’hui, où ce belvédère lui-même est menacé, sera-ce une Jeanne d’Arc qui entreprendra le renouveau initié par Bouddha, Jésus et Rousseau ? Greta Thunberg peut-être…