Les hommes prisonniers de l’histoire ?
Je retrouve le texte d'une conférence donnée par mon père en 1956, une autre époque.., sous le titre Les hommes prisonniers de l’histoire ? Je vous en mets trois extraits, mon cher lecteur, vous laissant le soin de faire des commentaires.
Jadis on savait qu’il existe une histoire comme un fleuve qu’on va contempler depuis un pont, où on va se baigner si on veut, mais sachant qu’on va ensuite regagner la rive, un genre littéraire parmi d’autres, une excursion dans le passé.
Avec la Révolution, soudain, c'est un déluge, un océan en expansion, une immersion sans recours, sans terre où se poser pour la colombe obligée de se faire poisson. Immersion de l’individu dans la collectivité en marche, absolument lié à la totalité.
Une prison sans issue ? L’homme garde-t-il un libre choix ? Plutôt qu'un dilemme, c'est synthèse à faire. C’est tout le problème de l’individualisme et du collectivisme.
Hegel reproche au christianisme de n’être qu’une religion privée. Ne nous donnons pas trop bonne conscience en disant qu’il ne condamnait que le luthérianisme. Le catholicisme d’alors valait-il beaucoup mieux ? Il en vint même un temps à croire que ça venait de Jésus lui-même qui avait conçu un salut trop individuel, et trop détourné l’homme des tâches collectives temporelles. Et il n’a jamais pu admettre l’immortalité personnelle car, disait-il, une âme subsistant à l’état de réalité purement individuelle est négation de l’être spirituel lui-même qui est nécessairement unité. En quoi, il avait évidemment raison. Mais il ne pouvait alors connaître les développements d’une théologie du corps mystique qui devait apparaître avec tant de retard. Travaillons à donner tort à Hegel.
Nous sommes solidairement responsables à travers le temps et l’espace de ce qu’ont fait au nom de notre pays et de la race blanche ses représentants mercantilistes, capitalistes, colonialistes, antisémites, racistes. Aucun de nous n’est innocent devant les descendants des Indiens que des hommes de notre religion ont exterminés ou parqués dans un désespoir séculaire, devant les descendants de dizaines de millions de noirs que des armateurs de nos villes ont déportés en Amérique et qui connaissent depuis encore des ségrégations impardonnables, devant des pogromes et des répressions. Et cela chaque fois que nous bénéficions dans notre culture, dans notre niveau de vie, dans notre liberté, dans nos privilèges européens des profits souvent iniques qui ont été acquis à ce prix.
Photo : Jacques par Paldacci