Vous croyez aux anges ?
Hier, dans le Luberon, les abeilles étaient comme ivres, le parfum sucré était entêtant. Avez-vous idée de la floraison des amandiers, ô mes lecteurs qui ne connaissez d'air que l'air du périph et de ciel que celui du métro ? Ce n'est pas un reproche, mais une pensée pleine de sollicitude que je vous adresse. J'ai repensé à une page de Proust que Jacques aimait à citer. C'est, un peu avant Pâques, quand Saint-Loup entraîne le narrateur visiter sa maîtresse, Rachel, bien peu désirable il faut l'avouer, par le chemin de fer de ceinture, en Seine-et-Oise.
Proust répète le récit fait par Stendhal d'une visite aux mines de sel de Salzbourg où une branche morte trempée dans une solution saline en ressort enluminée de mille cristaux magnifiques. Au lieu de vulgaires arbustes, le héros de Proust découvre devant les pavillons de banlieues de grandes créatures blanches merveilleusement penchées au dessus de l’ombre qu'il compare à des anges. Il pense même à Sainte Marie-Madeleine, qui, le jour de la résurrection, n'avait pas reconnu le Christ qu'elle avait pris pour le jardinier. La splendeur de la nature peut redonner vie à un cœur aigri et desséché.
Le texte de Proust occupe plusieurs pages. Voici la dernière phrase :
Les maisons du village étaient sordides. Mais à côté des plus misérables, de celles qui avaient l’air d’avoir été brûlées par une pluie de salpêtre, un mystérieux voyageur, arrêté pour un jour dans la cité maudite, un ange resplendissant se tenait debout, étendant largement sur elles l’éblouissante protection de ses ailes d’innocence : c’était un poirier en fleur.
(Recherche, Pléiade, Clarac, t. II, p. 157)