Le manichéisme est-il persan ou européen ?
Une chose manque à l'Occident que possède l'Orient : le travail introspectif. Le stoïcisme et l'Évangile en ont semé les germes. Pensez à Marc Aurèle, à Épictète, à Jésus qui recommandait de commencer à retirer la poutre qu'on avait dans l'œil avant de lapider qui que ce soit. Mais le moins qu'on puisse dire est que l'Europe a pris un autre chemin en adoptant une métaphysique manichéenne qui vouait la cité terrestre au péché pour ne voir de salut que dans la cité céleste. Le régime du tout ou rien fut prôné pendant combien de siècles par les plus grands sages de l'ouest ! Ce qu'avait à faire le croyant pour mériter le paradis, c'est de réprimer les impulsions de sa nature.
Pierre Leroux a sans doute raison de dire qu'en se convertissant au christianisme, Augustin a importé dans cette religion la vision sinistre qu'il avait trouvée dans un manichéisme auquel il n'a renoncé qu'en apparence.
C'était s'empêcher de s'entraîner à mieux habiter le monde. Et c'est peut-être pour ça qu'encore aujourd'hui, dans notre belle culture, personne ne nous invite au djihad contre les 4 passions tristes, honte, envie, vanité, mépris, à déjouer les pièges du ressentiment, de la nostalgie et des utopies imaginatives. Les professeurs ? les curés (parfois un peu) ? Les journalistes ? Les politiciens ? Je ne vois à vrai dire guère que Paul Diel, qui le fait, le Bouddha de l'Occident.
En contraste, l'hindouisme, le bouddhisme et le taoïsme sont d'immenses réservoirs de techniques introspectives visant à maîtriser nos hallucinations ordinaires.
À cela s'ajoute que pendant un siècle, le marxisme-léninisme a reproduit l'opposition augustinienne entre la cité terrestre et la cité céleste par un nouveau manichéisme opposant l'enfer capitaliste et le paradis communiste.
Et le comble, c'est que l'Europe a exporté ses idéologies manichéennes en Asie, en Chine, au Cambodge, au Viêt Nam, en Corée !