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Le burlesque métaphysique de Houellebecq


Schopenhauer dit que la meilleure façon d'avoir un bon style, c'est d'avoir quelque chose à dire. Ça me paraît profondément vrai. Le style, on croirait que c'est une question de forme. Houellebecq va me donner l'occasion de montrer le contraire et pour cela, je vais prendre comme point de vue la chose apparemment la plus opposée à la forme : la métaphysique, toutes les grandes questions, la vie, la mort, Dieu, l'infini, le néant.

Je dirai que Houellebecq écrit comme quand on regarde l'agitation des humains, ces fourmis, du haut de la tour Eiffel. Il ne croit pas en Dieu mais il est hanté par la pensée de la mort, autant le déclin de notre civilisation que la mort individuelle. C'est donc de l'extérieur, quand tout sera fini, du point de vue de l'éternité, qu'il écrit, et c'est ce recul maximum qui lui permet des effets d'échelle vertigineux. Au lieu de s'engluer à un niveau déterminé des affaires humaines, il contraste les niveaux car son point de vue "sublime" lui permet de les voir en même temps comme depuis une table d'orientation. Je vais en donner trois exemples.


Jamais il n'avait contemplé d'objet aussi magnifique que cette carte Michelin au 1/150 000° de la Creuse, Haute-Vienne. Le dessin était complexe et beau, d'une clarté absolue, n'utilisant qu'un code restreint de couleurs. Mais dans chacun des hameaux, des villages, représentés suivant leur importance, on sentait la palpitation, l'appel de dizaines de vies humaines, de dizaines ou de centaines d'âmes, les unes promises à la damnation, les autres à la vie éternelle. (La Carte, p. 54)


Sur une carte au 1/200 000°, en particulier sur une carte Michelin, tout le monde a l'air heureux ; les choses se gâtent sur une carte à plus grande échelle, comme celle que j'avais de Lanzarote : on commence à distinguer les résidences hôtelières, les infrastructures de loisir. À l'échelle 1, on se retrouve dans le monde normal, ce qui n'a rien de réjouissant ; mais si on agrandit encore, on plonge dans le cauchemar : on commence à distinguer les acariens, les mycoses, les parasites qui rongent les chairs. (La Possibilité d'une île)


Lorsque la mère de Claire avait rendu sa vilaine petite âme à Dieu, ou plus probablement au néant, le troisième millénaire venait de commencer, le millénaire de trop pour l’Occident antérieurement judéo-chrétien. (Sérotonine, p. 102)


On sent Pascal derrière ces lignes : "le silence de ces espaces infinis m'effraie". Mais le burlesque s'ajoute ici au tragique si le burlesque consiste à rapprocher de façon incongrue des niveaux en principe distincts comme de dessiner notre Président mal rasé accoudé au zinc du Café du commerce devant une bière. Cet effet se sent jusque dans des phrases comme : "Je fréquente peu les être humains" ou "Observant la plage à la jumelle, j'aperçus deux humains qui marchaient côte à côte". Ces phrases semblent avoir été écrites le jour d'après, quand tout sera fini, mais cela va avec une bonne dose d'auto-ironie car le procédé est trop gros : le romancier usurpe la place de Dieu... !

Le stéréotype d'un Houellebecq sans style a la vie dure. Antoine Compagnon et Tiphaine Samoyault eux-mêmes l'ont repris dans Le Monde du 4 janvier. TS en donne comme exemple la phrase suivante : "L'avion en provenance de Paris-Orly était à l'heure." Elle n'a pas bien compris l'ironie de cette phrase : la banalité de cette information veut contraster avec l'angoisse d'un homme qui s'enfonce dans une solitude et un désespoir qui n'auront pour issue que la mort. Tout marche parfaitement sauf que...


Photo : la lune depuis la chambre de Vaugines.



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