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La mémoire, qualité de la sottise

L'élève François-René de Chateaubriand se faisait remarquer par une mémoire exceptionnelle, qui lui inspire ces lignes :


La mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds qu'elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. Et néanmoins, sans la mémoire, que serions-nous ? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées, le cœur le plus affectueux perdrait sa tendresse, s'il ne s'en souvenait plus ; notre existence se réduirait aux moments successifs d'un présent qui s'écoule sans cesse.


Il est inutile de se fatiguer à montrer l'utilité pratique de la mémoire. Je passe donc pour réfléchir à ce qui peut être inutile dans la mémoire.

François-René n'a pas tort de dire que la mémoire peut être la qualité de la sottise. Nous avons tous connu ces caractères qui nous assomment par l'étalage de leurs connaissances. Il n'y a plus de conversation possible. Tout est occasion à tirer un fil sans fin et hors de propos. L'esprit de synthèse est sacrifié. Moi dont le métier est la transmission, je dois avouer avoir eu parfois un doute sur la légitimité qu'il y a à faire ingurgiter la connaissance du passé à des enfants qui ne demandent qu'à vivre. Le plus simple pour ne pas être embêté par quelque chose, c'est de ne pas y penser, vous ne croyez pas, mon lecteur ? J'ai parfois recours à cette méthode d'autruche. On a aboli l'esclavage, c'est très bien et renoncé au colonialisme, c'est très bien aussi, mais rêvons à ce que seraient les relations entre Européens et les Africains si la mémoire de l'esclavage était abolie, elle aussi, et les relations entre les Européens et les Arabes si la mémoire du colonialisme était, elle aussi, abolie... Ce serait couper l'herbe sous les pieds du ressentiment et de la culpabilité.

Quant à François René, il annonce avant les lignes que j'ai citées qu'il découvrira "une autre sorte de mémoire". Trente pages plus loin, on trouve en effet l'histoire de la grive : à 50 ans, il est soudain projeté, comme Proust, au temps de son adolescence et ce bond en arrière le décide à écrire ses merveilleuses Mémoires d'outre tombe.

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