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Un bien beau château


Parcourant le marché aux puces de Carpentras un glacial dimanche de décembre (les brocos ont la peau dure !), je me désolais de cette accumulation de vieilleries bien hideuses. Ah si j'avais un tractopelle ! Quand j'avisai L’Essai sur la France du grand philologue allemand Ernst Robert Curtius paru en 1930. Je l'acquis pour un euro. Il est vrai qu'il était bien fatigué.

À un siècle de distance, Curtius répondait à Germaine de Staël par dessus le Rhin. J'ai pensé, mon cher lecteur, vous faire partager quelques unes de mes notes de lecture. Curtius soutient l’idée de la secondarité de la civilisation française, et même de la secondarité à la deuxième puissance.

Il ne parle évidemment pas de la France contemporaine mais des vingt siècles qui nous ont précédés et affirme qu'on ne trouvera pas chez nous le même jaillissement de spontanéité qu’en Allemagne pour la raison que le vieux territoire gaulois a été submergé par une culture latine elle-même stratifiée puisqu'elle résultait d’une hellénisation de l’Italie. La France a même été recouverte deux fois par Rome, la Rome des César puis celle des papes.

Chez nous, la poésie resta longtemps confondue avec le discours rimé. La France, dit Curtius, est le pays de la prose tandis que l'Allemagne est la pays de la poésie, de la musique et de la philosophie. Il faut attendre Baudelaire pour que la France trouve enfin son grand poète lyrique, soutient Curtius qui le préfère à Hugo, trop grandiloquent. Je suis d'accord, mais il y a quand même des vers d'une simplicité bouleversante chez Hugo, vous ne trouvez pas ?

Aucun pays ne subit autant que la France l'influence des deux Rome. Le classicisme français triompha sous Louis XIV dans les lettres comme en architecture et se perpétua sous la Révolution, sous l’Empire et bien au-delà. Le Grand roi réalisa le rêve du XVI° siècle, créer une civilisation française comparable à celle de l’antiquité classique, du siècle d’Auguste en particulier.

Alors que le génie classique de l’Italie a sombré dans le baroque, la France a imposé au monde un style universel bannissant les particularismes, fondé sur l’équilibre, la mesure, la proportion, la symétrie.

Le XIX° siècle lui-même fut classique. Les romantiques avec toutes leurs cabrioles ne purent se détacher du piquet classique. Baudelaire imite Racine. Hugo resta fidèle à l'alexandrin. Ce n'est qu'en 1902 que le grand Lanson abolit la classe de rhétorique ce qui signifie que, même sous la république, une génération l'élèves fut formée selon le goût du Grand roi !

Et puisque je vis à Marseille, si je laisse de côté quelques méchantes églises néogothiques, j'avouerai que je passe tous les jours, comme dans toutes les villes françaises devant un palais de la Bourse avec sa colonnade corinthienne et son attique et devant un Palais de Justice avec sa colonnade ionique et son fronton à allégories. Tous deux datent de 1860. Et devant l'église St Joseph, rue Paradis avec ses colonnes corinthiennes, elles aussi. Un classicisme à bout de souffle à la vérité, que rachète le sublime château Borély, mais c'est du XVIII°.

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