Le dialogue Badiou / Onfray
Avons fait hier, Guy et moi, notre déjeuner d'hiver aux 2G sur le cours Mirabeau. Séparé de mon père par une demi génération, Guy Roustang fut son élève et resta son ami avant de devenir le mien, toujours séparé d'une demi-génération, bien sûr. Nous avons donc pris l'habitude de faire le point et de refaire le monde trois fois par an aux 2G le bien nommé. Après le convivialisme, j'ai mis la conversation sur le débat organisé par Marianne entre Alain Badiou et Michel Onfray. Vous pouvez facilement le trouver en ligne, ô (comme on disait dans les versions latines) mon lecteur bénévole.
Ces penseurs ont en commun la radicalité de leur critique du capitalisme libéral qui, selon eux, sévit en France comme partout dans le monde. Ils sont donc impitoyables envers le Président Macron, auteur d'un coup d'État anti-social qui n'aurait pour but rien moins que de casser le système de redistribution mis en place par le front populaire et par les réformes de 1945. Ils sont d'accord aussi pour n'accorder aucun crédit à Mélenchon en qui ils ne voient qu'un opportuniste narcissique. Il n'existe selon eux aucune alternative de gauche depuis 1983, date à laquelle Mitterand a trahi le socialisme.
Ce radicalisme me trouble. Il est vrai que je suis scandalisé par la marche du monde chaque matin quand j'écoute les infos mais j'ai encore la naïveté de croire que le modèle français est tout simplement le meilleur au monde malgré tous les abus. Notre Sécu, copiée partout, n'a-t-elle pas porté notre espérance de vie à plus de 82 ans ? Nos dépenses publiques (32 %) ne sont-elles pas les plus élevées du monde, devant la Belgique et la Finlande ?
C'est plutôt de leurs préconisations que je voudrais vous entretenir. Le vieux Badiou a l'air plutôt sympathique mais si je le traite de vieux, ce n'est pas en raison de son âge (honneur à la vieillesse !), mais parce qu'il persiste à promouvoir le communisme. Il convient de son échec partout mais affirme qu'il n'y a pas d'autre solution que la révolution communiste mondiale. Ce n'est tout simplement ni possible ni souhaitable, i. e. doublement utopique. Badiou ne se demande pas une minute quelles sont les raisons anthropologiques de l'échec du communisme à 36 reprises. Mon idée est qu'il faudrait aller chercher dans l'analyse des rivalités, chez René Girard, chez Marcel Mauss, chez Paul Diel.
C'est pour ça que j'ai préféré l'anarchisme d'Onfray. Longtemps, j'ai bêtement cru que l'anarchisme, c'était l'individualisme et la pagaille. Pour Joseph Proudhon, né à Besançon comme moi (et comme ce fou de Charles Fourier), l'anarchisme, c'est le mutuellisme, les coopératives, l'autogestion, ce qui est beaucoup plus satisfaisant et qui rejoint l'économie sociale et solidaire actuelle qui constitue peut-être ce que nous avons de mieux pour essayer de sauver la planète. Et chacun peut commencer à y participer tout de suite.
Je dois avouer que j'ai longtemps ignoré Proudhon à la suite de mon père à cause de sa misogynie dénoncée par Pierre Leroux. Leroux et Proudhon ont pourtant en commun d'être les grands penseurs de l'Association. Je préfère Leroux car il ne fait pas l'impasse pour autant sur la nécessité d'un État régulateur et parce que c'est un philosophe génial, mais il est un fait que, longtemps, c'est Proudhon qui est apparu comme le grand concurrent de Marx.
Dans le mauvais pas où nous nous trouvons avec tous les effets de la mondialisation, je propose de mettre à l'ordre du jour la réconciliation de Proudhon et de Marx !
Photo : Proudhon par Gustave Courbet.