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La fin des paysans


Cet été, à Méherbes, devant une boutique de mode, j'ai avisé parmi les touristes un vieux paysan. Il avait des lunettes de soleil, une canne télescopique et avait troqué ses vieux godillots contre des tennis. Mais il avait gardé le pantalon bleu charrette qu'il avait porté toute sa vie avec veste et casquette du même tissu comme M. Brunier, M. Pellegrin, M. Alamelle ou M. Morizot que j'ai bien connus à Vaugines. On voyait encore de tels vieux paysans à Cadenet remontant vers la maison de retraite, il y a quelques années. Il m'a permis de le photographier. Je vous recommande dans la série que j'aime tant, Un village français la reconstitution parfaite des cours et des intérieurs de ferme du Doubs sous l'Occupation. Rafy m'a donc offert pour Noël un DVD de Raymond Depardon, Profils paysans, filmé dans des fermes de moyenne montagne en Lozère. Un célibataire avec ses vieux parents. Deux frères qui vieillissent ensemble avec un neveu et sa sœur. Un veuf de 85 ans qui continue à élever ses vaches. L'odeur forte de l'étable l'hiver (même en vidéo). La formidable croupe des bêtes alignées qui chassent les mouches d'un coup de queue, le fumier qu'on évacue à la pelle. La cour boueuse devant la porte.

La majorité des scènes est filmée dans la cuisine où on vit. Une grande table recouverte de toile cirée. La boite de sucre, les assiettes en opaline, le litre de vin. La tartine qu'on trempe dans le bol. Le pain qu'on tranche avec le canif. Toujours la chemise à carreaux au col boutonné, le chandail tricoté à la maison rentré sous la ceinture. Le béret vissé sur la tête. Une horloge au mur. Une grosse cuisinière. Un buffet à deux corps, et sur un meuble, des paperasses entassées, rangées dans des enveloppes. Un fauteuil de moleskine à côté du frigidaire. On n'est plus au temps de Millet ni au temps des villages vosgiens où j'allais visiter ma parenté, tout enfant, surpris par l'odeur de la cuisine, la terre battue ou le gros plancher, le plafond bas, la cuisinière à bois qui chauffait aussi l'eau qu'on allait encore chercher au puits. Chez Depardon, la modernité s'est mêlée avec la vie de toujours mais pas de télé.

Ce qui m'a frappé dans une élocution que je ne peux reproduire, c'est l'absence complète de pose et d'affectation. Un peu de malice, mais c'est tout. Les choses sont comme ça.

De longues scènes de pourparler avec le le maquignon pour vendre un veau ou un broutard. Fais-nous un café, dit l'homme avec autorité à sa femme en tablier qui se tient debout derrière les chaises. Le maquignon revient à la charge toutes les deux minutes avec son offre trop basse, sort son carnet de chèques. Le paysan refuse obstinément, suppute qu'il peut nourrir son veau encore quelques mois et qu'il a vendu plus cher le dernier. Quand on a des mâles, il veut des femelles et quand on a des femelles, il veut des mâles ! Le maquignon s'en va, mais il revient et finit par partir avec la bête.

Photos : le paysan de Ménerbes et l'un de ceux filmés par Depardon.

 
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