Montaigne bouddhiste ?

La démonstration ne me paraît pas trop difficile à faire. Regardez plutôt, mon lecteur ! Malgré les apparences, Montaigne est tout le contraire d'un catholique. Il ne parle jamais de l'au-delà et l'opposition de l'âme et du corps lui est étrangère. Il dit même qu'il est barbare de vouloir scier l'âme à part du corps. Quand le catholicisme augustinien ne cesse pas de rabaisser le corps, ses plaisirs et l'amour de soi, Montaigne ne cesse de les réhabiliter. Qui se connaît bien se méprise, professe L'Imitation de Jésus-Christ. Montaigne dit au contraire : « Il n’est rien de si beau et si légitime que de faire bien l’homme et dûment [...] et de toutes nos maladies la plus sauvage, c’est mépriser notre être. » Inversement, « c’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être."
Donc exit la théologie de la faute et du péché. Montaigne est bourré de philosophie stoïcienne mais on sait qu'il a envoyé promener les modèles inhumains de Caton et de Sénèque, Caton qui s'est fait hara-kiri après la bataille de Pharsale et Sénèque qui s'est ouvert les veines sous Néron. Michel s'était beaucoup monté la tête avec Étienne là-dessus pour admettre finalement que la mort volontaire était un modèle trop au-dessus de lui et qu'il préférait mourir comme les autres bêtes sans faire d'histoires. Reste le stoïcisme profond qui me semble inspirer la conclusion des Essais.
Vous avez lu les Pensées de Marc-Aurèle, mon lecteur, et le Manuel d'Épictète ? Je retombe sur des notes prises il y a longtemps et l'analogie entre ces auteurs, le bouddhisme et Montaigne me frappe. Or nous savons qu'à la suite de la conquête d'Alexandre, le bouddhisme diffusa son influence dans le monde hellénistique.
Il y a d'abord le refus de spéculer sur aucun autre monde. Il y a ensuite cette grande idée : Accepter l'inchangeable / changer le changeable. L'inchangeable, c'est ce qui ne dépend pas de nous, le passé, le mauvais temps, la mort, les imprévus. Etc. Le changeable, c'est ce qui dépend de nous, en particulier les passions tristes que nous développons si souvent, honte, mépris, vanité et envie.
J'y reviendrai certainement car ce serait trop allonger ce billet et parce que je ne peux parler à la fois du bouddhisme, de Montaigne et de Marc-Aurèle. Il me semble qu'il y a là une grande analogie et une alternative au dualisme de notre culture.