Les grands nombres et les petits nombres
Au début, on veut récupérer la dernière olive. On grimpe jusqu'au rameau le plus rebelle, on ramasse une à une les olives qui sont tombées dans l'herbe. Normal : c'est la logique du travail bien fait, c'est une façon d'honorer la nature et c'est la logique du profit.
Progressivement, on s'aperçoit pourtant que c'est du temps perdu et qu'il vaut mieux sacrifier quelques individus, comme un général qui sacrifie 100 hommes pour sauver la patrie, et passer à l'arbre suivant quand il y en a 420. On voit deux écoles se former. Les perfectionnistes et les utilitaristes.
C'est pareil pour tout : je sais très bien que si je vais pêcher à la ligne, ça ne changera rien au résultat du scrutin qui ne s'est jamais joué à une voix, que si j'arrête mon moteur dans un embouteillage, ça ne sauvera pas la planète et que si je me baisse pour ramasser un euro, ça ne changera pas mon budget. J'accomplis cependant ces trois actions : je vais voter, je coupe mon moteur et je me baisse pour un euro. Et vous mon lecteur, vous vous baissez à combien ?
Nous parlions avec Philippe de notre bilan carbone et de nos voyages en avion. Bah, me disait-il, je ne fais qu'occuper une petite place dans un avion qui volerait de toute façon. Erreur, lui dis-je, tu sais très bien qu'aucun de nos gestes n'échappe à la statistique ! Nous serons donc kantiens et trancherons par l'argument massue : Et si tout le monde faisait pareil ?! C'est la politique du colibri qui dit : J'ai fait ma part.
Mais la part du feu ? De toute façon, en ce bas monde, chaque action dérange l'ordre universel et agir, c'est choisir le moindre de deux inconvénients. Ainsi les arguments se renversent les uns les autres à tour de rôle.
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'existe pas plus d'olive sans olivier que d'olivier sans olive.