J'ai fait un cauchemar !
Un horrible cauchemar ! Vous voulez que je vous raconte, mon cher lecteur ? Alors, voilà... Nous étions au cabanon avec plusieurs amis. Mais le cabanon était cinq fois plus haut qu'en réalité et très effilé. Il y avait parmi nous un garçon très casse-cou et très ingénieux qui avait fabriqué une machine volante entre le drone et le parapente. Il a commencé à grimper au sommet du cabanon, à s'avancer sur une sorte de plongeoir et à se précipiter dans le vide au bout d'un élastique. Comme si ça ne suffisait pas, il est remonté et s'est mis à se balancer au bout de son élastique de plus en plus fort, jusqu'à faire des tours complets et des loopings. Tout le monde avait le nez en l'air et n'a eu qu'un cri, comme quand Hortense s'est fait couper les cheveux dans Un village français : Il s'est détaché ! Il s'est détaché ! C'était vrai ! Et sous les yeux de sa femme en plus !
Il avait été projeté à la verticale sans aucune chance de rattraper son appareil. Il plana un peu comme les bonshommes de Folon et commença sa chute vers l'autre côté de la vigne, vers Cucuron-les-Olivettes. Tout le monde se précipita dans cette direction. Le bon docteur Freud aurait crié au fantasme sexuel mais une autre association s'est imposée à moi au réveil. Je sortais de la lecture des 1000 pages de L'Histoire du structuralisme de François Dosse. Dosse décrit la folie délirante qui s'est emparée de l'intelligentsia parisienne dans les années 60 et 70 autour de Lévi-Strauss, Foucault, Althusser, Lacan, Barthes, Derrida, Bourdieu... Il s'agissait de renverser la culture européenne de fond en comble : les Lumières étaient en réalité une obscurité, l'histoire une suite de hoquets, la personne un fantôme, le sens une impasse. Ce deuil terrible et complet était vécu dans l'ivresse et l'euphorie.
Tout cela s'est complètement dégonflé aujourd'hui. Je prends quant à moi une partie de ces critiques car c'est, depuis l'affaire Dreyfus, le rôle même de l'intellectuel que de critiquer ce qui est critiquable, mais non sans éprouver la sensation de quelqu'un qui titube après un tremblement de terre car plus rien ne sera jamais comme avant.
Pendant que j'écris, Michèle est occupée à faire réciter La Grenouille qui se fait aussi grosse que le bœuf aux petits enfants.