L'homme est-il un animal sympathique (suite) ?
Où en étions-nous ? Ah oui... Je suggérais que l'homme était avant tout un fragile animal égoïste et inquiet, un peu comme un petit écureuil soucieux de sa survie, qui fait bien son métier d'écureuil en amassant des noisettes et des pignons de pin pour l'hiver. Comme les autres animaux, l'homme prend aussi soin de sa progéniture et de sa famille rapprochée. Voilà le fond. Dans une réunion de copropriétaires, un de mes voisins avait une fois lâché : Chacun sa vie ! Il me semble maintenant qu'il avait raison.
Là où les choses se compliquent, c'est que nous possédons un organe que les autres bêtes ne possèdent pas, ou si peu, le besoin de reconnaissance, c'est-à-dire que nous sommes hypersensibles au regard que les autres jettent sur nous, estime ou mépris, et que nous sommes nous-mêmes sans arrêt en train de juger les autres. Ce n'est pas vrai ?
Et en plus, cela provoque des amalgames et des engrenages : l'estime provoque l'estime, ça s'appelle l'amitié ; le mépris provoque le mépris, ça s'appelle la violence.
Les engrenages de la violence commencent par de mauvaises pensées, continuent par de mauvaises paroles et finissent par de mauvais coups, d'un poing dans la figure à une bombe atomique sur la ville. René Girard et Paul Diel ont superbement démonté ces spirales effrayantes dont le moteur est l'amour-propre, la vanité de l'ego qui veut dominer, l'intolérance à l'offense. Il faut que je me venge !
50 ans avant Girard, Marcel Mauss a observé l'existence d'un engrenage tout à fait différent, non plus l'échange de mauvais coups, mais l'échange de bienfaits, de cadeaux, de services, d'écoute, d'estime, de caresses, etc. Là aussi, il y a mimétisme : un don laisse en dette et appelle un contre-don comme un coup reçu appelle sa réplique dans la vendetta.
C'est le grand choix de chaque instant de la vie, coopérer loyalement ou rivaliser par tous les moyens, que ce soit dans une file de voitures sur l'autoroute, dans la queue à la boulangerie, dans le partage d'un gâteau ou de n'importe quoi. Les plus habiles sont ceux qui ont compris, sans doute parce qu'ils étaient avantagés par la nature ou parce qu'ils ont eu la chance de bien recevoir dans leur enfance qu'il est plus avantageux d'échanger des cadeaux que des mauvais coups parce qu'on se fait ainsi des amis et qu'il est plus avantageux et plus confortable de vivre entouré d'amis que d'ennemis.
(À suivre)