Bonjour, chère petite Jeanne...
Ma mère est morte en 2015. L’année suivante, j’ai trouvé sur le buffet qui me sert d'écritoire un charmant billet orné de trois cœurs rouges :
Bonjours sa va bien chez toi ? moi ça va très bien Bisou Louise
Faustine m’a avoué que c'est elle qui avait fait la messagère. J’en ferai autant pour Jeanne, la sœur aînée de mon père, que je n’ai pas connue puisqu’elle est morte à vingt ans le 15 septembre 1932. Elle aurait pu écrire ces vers, gravés il y a 26 siècles sur une tombe grecque placée au bord d’une route :
Je suis vierge à jamais. On eût célébré mes noces
Mais les dieux brusquement m’ont alloué ce lot.
J’ai retrouvé dans la petite valise de moleskine le carnet intime de Jeanne quand elle a dû s’aliter pour ne plus se relever. En voici quelques phrases. Pour qui ? Pour Dieu d'abord, et pour nous qui lui survivons, certainement.
Lundi 27 janvier 1930 : Suis-je assez fervente ? Jésus, rendez-moi la ferveur. Ces jours-ci, je ne vous vois plus, je suis dans un tunnel sombre. Je veux me rappeler la parabole de la femme qui avait perdu sa drachme et balaye par toute la maison pour la rechercher. Je veux me rappeler les premiers chrétiens condamnés aux mines, qui une fois descendus ne revoyaient plus la lumière du soleil.
Jésus a dit « Je viendrai comme un voleur sans vous dire ni le jour ni l’heure. c’est folie de se coucher en état de péché mortel. J’ai 18 ans. Arriverai-je à 20 ? Cela, c’est le secret de Dieu. Mais ce qui importe, c’est d’être prête, que la toilette de mon âme soit toujours prête.
Mardi 28 : Oh ! mon Jésus, faites que jamais je ne laisse mes prières car après, on laisse tout et c’est le plus sûr moyen pour être damné. Et je ne veux pas être damnée.
Vendredi 7 août 1931 : Toujours le même régime, lait et lit ! C’est charmant !
Mardi 11 : Le docteur permet une pomme de terre, du riz, du tapioca au lait.
Mardi 1er septembre : le lait est supprimé mais l’albumine ne va pas mieux. Maintenant, il faut que j’en prenne mon parti, je ne serai pas assez solide pour recommencer en octobre [le métier d’institutrice].
Jeudi 3 septembre : cela va mieux, beaucoup mieux maintenant. Hier, pour la première fois, je suis descendue pour souper avec tout le monde.
28 septembre : Cela va beaucoup mieux mais l'albumine ne varie pas. Mon Dieu, je me demande si à la Toussaint, je pourrai reprendre. C'est demain la rentrée à l'Institution, moi, je ne rentre pas. C'est la première année que je serai en retard. Je voudrais employer ma vie de mon mieux pour votre gloire, pour le salut de mon âme et de mon prochain. Fiat.
Dimanche 11 octobre : Un autre docteur est déjà venu deux fois. Vendredi, il m'a dit : encore un peu de patience. Comme le temps paraît gris ! Guitte est montée dans la classe du brevet et Jacques est déjà en 4ème.
Mercredi 11 novembre : 13ème anniversaire de l'armistice. Seigneur ayez pitié des soldats morts pour leur Patrie, enlevez-les des flammes du purgatoire et mettez-les dans le paradis !
Dimanche 6 décembre : Saint Nicolas aujourd'hui. Monique est ravie de sa poupée et l'a baptisée Nicole en souvenir.
Vendredi 1er janvier 1932 : Voici une nouvelle année qui commence. Faites, ô mon Dieu qu'elle soit bonne et surtout sainte pour tous ceux que j'aime. J'ai eu 20 ans le 17 décembre. Aidez-moi à ne pas être inutile.
Vendredi 6 mai : Je suis couchée depuis dimanche. Quand me lèverai-je ?
Ces mots sont les derniers que Jeanne a écrits. Marguerite raconte qu'à sa mort, mon grand-père a refusé de parler pendant un an.
Bonjour, chère petite Jeanne ! J'espère que ça va bien chez toi. Je ne t'oublie pas.