Pétain et de Gaulle, des vies parallèles
Avant de monter dans l’avion pour Londres, j’ai pensé à François qui me disait À quoi bon lire des romans quand les livres d'histoire sont remplis de récits passionnants et qui, en plus, sont vrais ? J'ai donc acheté chez Relay le Hors-série de Valeurs intitulé De Gaulle-Pétain. Plutarque a écrit 23 Vies parallèles, à chaque fois un Grec et un Romain, par exemple Alexandre et César ou Démosthène et Cicéron. J’ai déjà évoqué l’amitié brisée de Jaurès et de Péguy, celui qui ne voulait pas faire la guerre et fut assassiné la veille de la déclaration et celui qui voulait la faire et fut tué à l’ennemi, comme on disait, d’une balle dans le front le premier jour des hostilités. Ce drame se rejoue au moment de la seconde guerre. Pétain et de Gaulle, ces catholiques coureurs de jupons (oui !), avaient 34 ans d’écart, une génération. La séduction fut immédiate et mutuelle quand le jeune sous-lieutenant se trouva sous les ordres du vieux colonel en 1912. Pétain apprit à de Gaulle les vertus de la stratégie défensive qui fit sa gloire à Verdun, coordonnée avec l’observation aérienne et la préparation de l’artillerie. Après 5 jours au front, Pétain envoyait les Poilus se reposer à l'arrière selon la stratégie du tourniquet : les convois se croisaient sans discontinuer le long de la Voie sacrée, comme l'appela Barrès.
Combattant de Verdun, lui aussi, de Gaulle fut blessé et se morfondit en captivité. Après la guerre, une amitié naquit. Charles reconnut en Philippe qui le reçevait à dîner « son exemple, son modèle, son maître » jusqu’à prénommer son fils Philippe. Le vieux chef qui n’avait pas d’enfant accorda son admiration et son affection à son cadet.
Voyez le chiasme, mon lecteur. Pétain, qui était un indiscipliné capable de toutes les insolences envers les hiérarchies finit par incarner la tentation du renoncement. Élevé dans un moule monarchiste et clérical, de Gaulle fit le choix de la résistance à l’ordre des choses. Si l’argument du glaive et du bouclier avancé par Pétain dans son procès avait de la consistance, les deux hommes qui ont dominé l’histoire de la France au XX° siècle auraient continué à se compléter.
C’est le contraire qui arriva pendant les terribles semaines d’indécision de l’été 1940. La France était envahie avec 1, 5 million de prisonniers, 8 millions de déplacés, l’absence d’informations fiables, la stupéfaction, la panique et la honte. On vit de nombreuses personnalités de gauche passer à la collaboration et de nombreuses personnalités de droite passer à la résistance.
Unis jusque-là par une amitié filiale, Pétain et de Gaulle en arrivèrent à incarner les deux France qui se combattaient depuis 150 ans, la France républicaine et celle qui n’avait jamais admis 1789. La vieille fracture s'était réveillée.