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La pensée radicale n’est pas radicale

J’entends par pensée radicale, celle de la gauche de la gauche, inspirée par Michel Foucault ou Pierre Bourdieu. Je prends beaucoup chez Foucault et chez Bourdieu. Le combat contre l’autoritarisme abusif chez le premier, la description de la domination symbolique chez le second, c’est-à-dire la façon dont les dominés finissent par considérer leur habitus (+ ou - = habitude) et leurs goûts pour des données naturelles. Comme tout cela est vrai et important ! Foucault et Bourdieu l’ont dit mieux que d’autres, c’est sûr, et ce ne serait pas la peine de se réclamer de la république sociale comme je vous invite à le faire, mon cher lecteur.trice, c’est-à-dire de prendre au sérieux la notion d’égalité en face de celle de liberté pour ne pas partager les critiques de la domination.

Ce que je conteste en revanche, c’est la radicalité de ces pensées qui ont pris le relais de la perspective révolutionnaire pratiquement effacée de notre horizon depuis 30 ou même 40 ans. Finis les barricades, le grand soir et la dictature du prolétariat. Demeure la pensée radicale majoritaire dans l’intelligentsia française, les médias et l’enseignement.

Il existe, me semble-t-il, un point de basculement à partir duquel une bonne idée se met à se gâter et à ne plus parler que d’elle-même et à laisser voir ses boursoufflures et ses protubérances, je veux dire l’exaltation de celui qui la soutient. Ainsi Foucault décrivait-il la France gaulliste comme une caserne ou un camp où chacun devrait se sentir menacé. Il n’y avait plus moyen dans ces conditions de faire la différence avec le goulag ou le laogai qui existaient vraiment, eux ! Ainsi, l'État n'apparaissait plus que comme un instrument de répression, ce qui méprisait l'instauration précieuse d'un État Providence depuis 1879, 1936 et 1945, même si tout est, par nature, en devenir.

La pensée républicaine n’est pas radicale car il est dans son essence de savoir que rien n’est parfait et que l’équilibre de la liberté et de l’égalité est nécessaire mais toujours instable. On n’aura jamais l’égalité parfaite et, si on l’avait, ce serait un malheur car la liberté se serait envolée. Et puis finalement, la pensée radicale n’est pas assez radicale car elle dénonce sans arrêt la domination mais elle ne s’interroge pas sur l’origine de cette domination. Elle ne voit pas que la rivalité est partout, à commencer chez des enfants qui se disputent pour une babiole, et, que ces luttes sont souvent des luttes d’amour-propre : chacun veut être le premier, avoir le dernier mot, briller devant les témoins, jouir de l’admiration générale, etc. Tant qu’on n’a pas réfléchi à la généralité de ces querelles d’amour-propre, on se trompe en prenant telle ou telle catégorie de dominateurs pour responsable du principe mauvais. Il n’ y aurait qu’à les liquider pour être tranquilles. En réalité, chaque fois qu’on coupera des têtes, il en repoussera davantage, animées des mêmes désirs de domination.

Mieux vaut prendre son parti de l’existant et chercher comme Montesquieu des contrepoids : que le pouvoir arrête le pouvoir.

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