Une visite au sérail
Visite au Sérail vendredi, en famille. J’ai d’abord dû expliquer aux fillettes ce qu'était un sérail, l’habitation des épouses et concubines en Turquie, et aussi, bien sûr, ce qu’était un eunuque. Il y en avait aussi en France, des eunuques ? Bien sûr ! Ça s’appelait des castrats, mais c’était plutôt pour conserver leur voix d’enfants qu’on leur faisait tomber les testicules. Arles était-il le grand centre européen de fabrication des castrats ? Jean le prétend mais notre père disait qu'il avait toujours été un peu affabulateur...
Ce qui est sûr, c’est que le sérail travailla l’imaginaire marseillais, cette « porte de l’Orient », pendant tout notre XIX° siècle colonial. C’est à cela que la dernière survivante des savonneries de Marseille doit son nom, Le Sérail. La porte d'un sérail est étroite, comme on sait : on ne visite que le vendredi après-midi. Un vrai voyage dans le temps, au XIX° siècle, avec les machines, et tout. Rien n’a changé, en particulier les immenses chaudrons où on fait chauffer une horrible mélasse, un mélange d'huile, de soude, d'eau et de sel.
Cette turquerie n'empêche pas le patron de la fabrique, Daniel Boetto, de vouer un culte à la Vierge Marie et à la République, Marie et Marianne réconciliées, auprès de sa collection de savons anciens.
Au XIX° siècle, les lessives synthétiques fabriquées à partir de graisses animales et d’huile de palme ont progressivement ruiné les savonneries marseillaises. Aujourd’hui, les contrefaçons venues d'Asie du sud-est abondent mais il n’est qu’un seul vrai savon de Marseille, Le Sérail ! Ça fait pour tout, la toilette, les cheveux, les dents, la vaisselle et la lessive. Tout en un petit bloc hypoallergique, dermatologique, biodégradable et économique.
Malheureusement les trusts américains de lessive, Unilever et consorts, sont arrivés, à force de publicité mensongère, à mettre dans la tête des femmes que l’hygiène de leur maison était le signe visible de leur pureté. Les femmes ont jeté leur vertu par dessus les moulins depuis 50 ans mais l’hystérie hygiéniste ne fait que se renforcer avec un produit pour chaque partie du corps et un produit pour chaque partie de la maison, non sans conditionnements en plastique bien épais aux couleurs criardes.
En d’autres termes, nous n’avons plus qu’un sérail à Marseille, mais des millions de fausses vierges. Conclusion, plus besoin d'eunuques, mesdames, un savon Le Sérail suffira !