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Servitude et grandeur militaires


Précédent à un sérieux désherbage de ma bibliothèque, je suis tombé sur un petit Vigny ayant appartenu à mon grand père, menuisier puis militaire de carrière, ayant fait la Grande guerre de bout en bout comme capitaine d’artillerie. Sa bibliothèque ne devait pas être bien fournie et je me plais à imaginer que ce petit volume assez fripé a pu l’accompagner au front et l’inspirer quand il écrivait à sa femme qu’il faisait son devoir envers Dieu et envers la France.

Avec le Poète évoqué dans Stello, Servitude et Grandeur militaires décrit un autre paria, le Soldat. Peu importe qu’il serve sous la Restauration comme Vigny lui-même, sous le Directoire, sous l’Empire ou même sous la couronne anglaise.

Les soldats sont les gladiateurs des temps modernes, ceux qui disent à la nation Morituri te salutant, mais ils n’auront droit à aucun applaudissement. Par leur vie, c’est du moine qu’ils peuvent être rapprochés car ils ont fait vœu d’obéissance, de pauvreté, et qu’ils ont souvent renoncé à toute vie de famille. L’humilité du soldat est bâtie sur le renoncement à toute gloire mondaine.

Mon préféré des trois récits de Vigny est le premier, Laurette ou le cachet rouge. Ça se passe en mars 1815. L’auteur n’a pas enlevé ses bottes depuis 4 jours. Il est à cheval sur la grande route d’Artois et de Flandre, brillante parmi les flaques, accompagnant Louis XVIII vers l’exil, à Gand, au retour de Napoléon. Il double un piéton guidant une voiture bâchée et lie conversation.

Sous le Directoire, il y 18 ans, ce militaire a reçu l’ordre de conduire en déportation à Cayenne un jeune homme accompagné de sa jeune épouse, et de n’ouvrir une lettre fermée par trois cachets rouges qu’après avoir passé la ligne. Pendant la traversée, il a fait beaucoup d’amitié avec le jeune couple. La lettre ordonne de fusiller à l’instant le jeune homme qui a écrit trois couplets moqueurs sur le Directoire. Un militaire exécute les ordres. Dans la carriole se trouve la jeune femme devenue folle à laquelle le vieux militaire a consacré le reste de sa vie.

La Canne de jonc n’est pas moins beau, histoire d’un capitaine qui fut jadis prisonnier sur parole de l'amiral Colingwood et qui a remplacé son fusil par une canne de jonc depuis qu’il a tué un enfant sans l’avoir voulu, et qui se laissera justement tuer par un jeune émeutier en 1830.

Vigny le redit plusieurs fois, la guerre est « un jouet féroce », une barbarie dont on peut prévoir la prochaine disparition. Il n’est pas vrai, comme l’a dit Joseph de Maistre, que la guerre soit divine et que la terre soit avide de sang. L’armée, pourtant, est un endroit où les notions de devoir et de parole donnée ont encore cours. Dans le monde moderne submergé par l’égoïsme, un point demeure intact, au sein des armées, c’est l’honneur. C’est lui qui fait dire à un homme : je ne m’abaisserai pas à ce geste. Cette vertu est un legs de l’ancienne aristocratie par delà le « fleuve de sang », comme disait Chateaubriand, qui divise désormais les deux France.

Antoine de Romanet, évêque aux armées, écrivait récemment dans Le Monde :


Le réel est notre compagnon d’armes : sens de la vie, engagement, mort à donner ou recevoir, autorité, légitimité à porter une arme. La fraternité est non seulement possible mais nécessaire. Si on doit un jour ne plus comprendre comment un homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera la fin de toute civilisation.

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