La raison du plus fort est toujours la meilleure
Vendredi, c’était marché à Lourmarin où, au sortir de mon cabanon, j’ai conduit Michèle, Sabine et la petite marmaille. Moi, je me suis réfugié à La Réserve où je commande un café pour regarder passer les touristes de nationalités diverses intéressés par les chapeaux, savons, bijoux fantaisie, objets en bois d’oliviers, quincaillerie, huiles essentielles, fripes en tous genres, etc.
J’ai aussi apporté un Thucydide traduit par Jacqueline de Romilly, que je n’avais plus ouvert depuis combien d’années ! Lu le récit de la peste d’Athènes qui peut bien rivaliser avec le choléra de Giono dans Le Hussard. Dans la terrible guerre contre Sparte, Périclès avait convaincu les paysans de se réfugier en ville car la force d’Athènes, c’est la mer. Le contraire de Pétain qui misait tout sur la terre. Les Péloponnésiens en profitaient pour ravager l’Attique et la promiscuité en ville favorisait l’épidémie. Double ravage donc : la guerre + la peste.
J’ai été frappé par la netteté implacable des phrases de Thucydide et des discours qu'il prête à Périclès. Déjà quelque chose de Tacite. Périclès, c'est le Clemenceau, le De Gaulle ou le Churchill d’Athènes, celui qui maintient le cap coûte que coûte contre « les partisans de la tranquillité » qui commençaient à parlementer avec l’ennemi. Ce doit être le drame de toute nation attaquée : résister ou se soumettre.
Périclès mise tout sur la flotte et qualifie le territoire de jardin d’agrément qu’il sera facile de reconstituer pourvu qu’on ait la liberté au lieu de la servitude. Mais qu’est-ce que la liberté ? En réalité, la liberté, c’est devenu la domination, et même l’impérialisme. Les Athéniens sont à la tête de la Confédération de Délos parce qu’ils ont été à la tête de la résistance contre le Roi de Perse à Marathon et à Salamine. Mais il y a belle lurette que ses alliés sont devenus ses sujets, dont les révoltes sont cruellement réprimées. « Cet empire, dit Périclès à ses concitoyens, vous ne pouvez pas vous en démettre. Il constitue entre vos mains une tyrannie dont l’acquisition semble injuste mais l’abandon dangereux. »
En somme, démocratie = impérialisme. Le mécanisme est implacable. Seuls les aristocrates et les lâches veulent revenir en arrière. Athènes doit serrer la vis toujours plus fort. Ainsi, Athènes demande à l'île de Mélos de se soumettre à son autorité, c-à-d de payer un lourd tribut. Mélos refuse. Il s'ensuit un long dialogue entre Athéniens et Méliens au terme duquel, la ville de Mélos est rasée, les hommes et les vieilles femmes passés au fil de l'épée, les jeunes femmes et les enfants réduits en esclavage sous prétexte que "la justice ne s'exerce qu'entre égaux. Dans le cas contraire, les faibles doivent céder aux forts."
Pour la morale, voyez Platon.
Photo : "On dirait des fourmis", disait Matilda.