Tintin anticolonialiste

Mis à part les derniers albums qui ne valent rien, je suis un inconditionnel de Tintin qui fait mon admiration, toujours renouvelée. Ne me parlez pas de Spirou ou d’Astérix !
Relu Le Lotus bleu ces jours-ci avec Oreste, l’un des plus fouillés, côté histoire. Et dire qu’au temps du communisme, on faisait passer Hergé pour réactionnaire sous prétexte qu’il avait osé se moquer de Staline !
Quelle belle peinture de la Chine, d’abord, celle de 1935, qui avait encore gardé ses rues, ses vêtements, son mobilier, sa culture ! Quelle charmante peinture de la famille de M. Wang Jen-Ghié, ce vieillard plein de dignité qui lutte contre le fléau de l’opium à travers une société secrète, Les Fils du dragon, et qui l’a payé cher, son fils ayant été victime de l’affreux Mitsuhirato, trafiquant de stupéfiant, agent de l’impérialisme nippon. Et que de beaux personnages populaires comme le frère du tireur de pousse-pousse, les gens de la rue, ces personnages à l’exquise politesse et surtout Tchang, le grand ami de Tintin. Cet album est un poème d’hommage à la culture chinoise défigurée par la propagande occidentale qui colporte les images stéréotypées de supplices, d’œufs pourris, de pieds bandés et de bébés jetés à la rivière (p. 33).
Tintin prend la défense du tireur de pousse-pousse et du serveur de café contre l’horrible Gibbons (p. 6 et 7), gros industriel américain (p. 39 et 45), qui brutalise ces « sales Chinks » au nom de la race blanche et qui prétend dans son Occidental Private Club « civiliser un peu ces barbares » et leur apporter « les bienfaits de notre belle civilisation occidentale » (p. 7).

Gibbons est de mèche avec l’affreux Dawson (p. 29 + 35), le chef de la police de la concession occidentale et avec l’odieux Mitsuhirato qui finira par se faire harakiri. L’impérialisme japonais en Mandchourie, ses manipulations, ses discours hypocrites à la Société des Nations sont éloquemment mis en évidence.
Tchang a perdu deux grands parents dans la terrible Guerre des Boxers, dernier sursaut de la Chine traditionnelle contre les Occidentaux et le modernisme (p. 43). Cette Guerre des Boxers faisait suite aux deux Guerres de l’opium perdues par la Chine au profit de l’Angleterre, de la France, des États-Unis, de la Russie, avides d’importer l’opium produit en Inde. Il en était résulté les Traités inégaux qui légitimaient la liberté commerciale occidentale et créaient des Concessions étrangères en diverses villes chinoises.
Hergé montre bien la collusion anglo-japonaise dans la Concession de Shangaï. Le Lotus bleu est à placer en bonne position dans la littérature post-coloniale, c'est-à-dire anti-coloniale. Évidemment, les Chinois ont adoré.
