Mai 68, crise adolescente ?
Il me semble que l’analyse la plus pertinente de mai 68 est celle que propose Edgar Morin qui y voit l’aspiration d’une nouvelle classe d’âge, l’adolescence. Jadis, la majorité des jeunes passait directement de l’enfance à l'âge adulte : travail, mariage, enfants. Une nouvelle classe d’âge s’est formée dans les années 60 avec sa musique, ses rites, sa culture, le rock, le yé-yé, le jean, etc. Les étudiants ont été les porte-parole et les idéologues de cette classe d’âge.
Oui, mais quelle est la cause de ce brusque surgissement de l’adolescence ? Sans doute l’élévation du niveau de vie après guerre, sous les 30 Glorieuses, la nécessité d'études plus longues et le développement de la civilisation des loisirs qui va avec.
L’héritage de Mai 68 se trouve là et pas du tout dans les mouvements maoïste, trotskiste et communiste qui ont périclité. On pourrait donc avancer que c’est la société tout entière qui a adopté les valeurs adolescentes.
L'adolescent s'arrache à sa famille natale pour rester en suspens quelques années avant de faire famille à son tour. C'est ce moment de grâce qui n'a cessé de s'élargir depuis les 30 Glorieuses, sachant que l'individualisme ne va pas sans son complément, le désir de groupe. La naissance du premier enfant n'a cessé d'être repoussée, de 10, de 20 ans même. Encore la naissance des enfants n'est-elle plus vécue comme une barrière insurmontable au nomadisme sexuel, les romans de Houellebecq ou de Despentes en sont l’illustration.
On peut donc dire que nous vivons à beaucoup d'égards dans une société adolescente, mais l'individualisme propre à l'adolescence est en réalité une revendication humaine de base qui s'exprime dès que les limites sociales cessent de s'appliquer. J'en conclus que nous vivons une sorte de retour à la nature au moment même où la nature au sens de l'écologie est mise en péril. Mais dans les deux cas, l'équilibre entre le libéralisme et ses limitations est rompu.
Photos : étudiants ouvriers, Cologne, 1926, commerçants en gros et sa femme, 1923, mère et fille, femme de paysans et de mineur 1912, par August Sander, Persécutés/persécuteurs, Mémorial de la Shoah, jusqu'au 15 novembre.