De la finition
Je ne parlerai pas ici des massages thaïlandais mais des fautes d’orthographe. Si les mille pages de Guerre et Paix ont été relues lettre à lettre par plusieurs correcteurs et qu’il n’y reste pas la moindre coquille, le lecteur ingrat n’aura aucune pensée pour cet invisible travail de fourmi. Mais demeure-t-il la moindre imperfection, irrité et triomphal, il tracera un cercle rouge autour de l’inhumaine coquille.
Ceci est un plaidoyer pro domo car je sais bien qu’il me faut plusieurs lectures pour éliminer les dernières impuretés de mes billets, vous l’aurez sûrement constaté, mon lecteur sans indulgence.
Pareil en maçonnerie. J’ai passé la journée d'hier à tapisser la douche du cabanon avec des plaques de marbre hétéroclites récupérées à droite à gauche. Je suis sorti de là couvert de fine poussière jusque dans les poumons, taché de ciment-colle jusqu’au épaules et transi par un mauvais vent d’est qui nous a heureusement apporté 48 heures de pluie ininterrompue. Évidemment, il y avait une fausse équerre, j’ai dû recouper en sifflet tous les marbres de l’angle et c’est miracle qu’ils se soient finalement alignés sans faire de grimaces. Vraiment chouette, cette douche ! Quelle bonne idée d’avoir été chiner ces dalles anciennes, commenteront les belles dames en visite et celles qui viendront faire leur petite toilette au cabanon. Croyez-vous qu’elles accorderont la moindre pensée au pauvre artisan aux jarrets ankylosés, aux reins brisés, qui resta agenouillé une heure durant pour ajuster chaque dalle jusqu’à faire disparaître toute disparité de niveau ? Point du tout ! Elles sont bien trop occupées par la liste des commissions, par l’abonnement du stationnement de ville qu’il faut renouveler au plus vite sous peine de PV, à moins que ce ne soit par la nouvelle victime que Ronaldo médite de taillader avec sa lame de rasoir dans Engrenages ou par le nouvel amant qui tarde à répondre à leur message. Ce qui est sûr, c’est que le pauvre artisan n’aura droit à une pensée, en forme de froncement de sourcil, que si une trace noirâtre atteste qu’un joint n’a pas été bien colmaté ou qu’un carreau écorné témoigne qu’on a pris une petite permission avec la règle.
Moi-même, changeant d’emploi pour le coup, quand je me trouve accroupi dans la salle de bain des mauvais hôtels dans la position du Penseur de Rodin, j’ai pris l’habitude d’inspecter la finition des plinthes derrière la porte ou en bas du chambranle et d’incriminer l’artisan sans conscience qui s’est adonné à un affreux barbouillage dans ce recoin à l’abri des regards, croyait-il.