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Les tirailleurs sénégalais sont-ils morts pour rien ? (suite)

Béatrice me demande des éclaircissements sur mon billet du 26 mars consacré aux tirailleurs sénégalais. Il est d’autant plus opportun d’y revenir que le centenaire du 11 novembre 1918 approche.

Je commencerai par un souvenir de novembre 2007 dans cette toute petite île au nom charmant, Marie Galante, proche de la Guadeloupe, que je ne confonds certes pas avec le Sénégal. Je ne sais si la photo que j’en ai prise permet de voir que le soldat importé d’une fonderie de l’hexagone a un morphotype européen et qu’il a fallu lui barbouiller le visage avec du cirage pour le faire passer pour un descendant d’esclaves. Dommage que je n’ai pas photographié les longues listes des noms créoles qui ornent les 4 faces du monument de cette île minuscule.

Revenons au duel Jaurès/Péguy. Jaurès qui croyait possible d’arrêter la guerre, Péguy qui la croyait inévitable et même juste, du moment que la République était attaquée par l’impérialisme allemand. Jaurès qui fut assassiné le 31 août, 3 jours avant la déclaration de guerre par l’Allemagne, et Péguy qui mourut au front un mois plus tard d’une balle dans le front (bis).

Que cette guerre ait été abominable, nul n’en doute, qu’elle ait ruiné l’Europe, c’est tristement clair, et qu'elle ait ouvert la porte aux grands totalitarismes, c’est vrai. Elle fut en un sens pire que la seconde d'où est sortie une Europe pacifiée. Alors, fallait-il laisser faire l’Allemagne en 14 et résister en 39 ? C’est en gros ce que pensent les Français aujourd’hui. Que serait-il arrivé si on avait laissé faire dans les deux cas ? Question insondable.

Encore une fois, comme plusieurs membres de votre famille, mon cher lecteur français, allemand, sénégalais, antillais, etc., mon grand père et mon père ont fait cette guerre. Mon grand-père les armes à la main, mon père par la plume en prenant le parti de Péguy. Il est vrai qu’il adorait aussi Giono qui revint de Verdun pacifiste pour la vie.

Depuis Tokyo, mes amis Nobutaka et Fumio sont allés faire un pèlerinage au café du Croissant à Montmartre où tomba Jaurès.

Mais ne peut-on, un siècle après, aimer en même temps Péguy et Jaurès, animés tous deux d’un haut idéal ? 1789 et le socialisme républicain soudait leur amitié avant que l’événement les oppose. Comme on peut aimer de Gaulle qui sauva plusieurs fois la France et Mendès qui l’accusa de bonapartisme. Sommes-nous vraiment armés pour trancher sur des questions aussi immenses et juger les mystères de l’Histoire ? Il me semble finalement que nous sommes les héritiers de ces deux mémoires et de leur contradiction tragique, comme nous le sommes de Corneille et de Racine ou de Voltaire et de Rousseau.

J’ai fait le pari avec Jacques le 26 mars que les tirailleurs sénégalais étaient morts pour une juste cause. Mais était-ce leur cause ? Le monument aux morts de Marie-Galante dit oui et dit non, mais il me faut avouer je dirais personnellement plus non que oui.

Blaise Diagne et Léopold Sendar Senghor auraient répondu oui. Blaise Diagne qui donne son nom au nouvel aéroport de Dakar a dit oui en recrutant des dizaines de milliers de combattants. Combattant de la Deuxième Guerre, Senghor a clairement appliqué à l’indépendance de sa patrie en 1960 les leçons de liberté qu’il avait apprises en 39-40 et dans la Résistance. Devant le peloton d’exécution allemand qui l’a finalement épargné, il s’était écrié : « Vive la France ! Vive l’Afrique noire ! »

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