Les tirailleurs sénégalais sont-ils morts pour rien ?
Allez, Doudou, allez Doudou, scandait notre cocher en fouettant sa bête quand nous dépassâmes le cimetière militaire de Saint-Louis sur le chemin de l'hydrobase d'où Jean Mermoz, non content d'avoir vaincu le Sahara, s'élançait à travers l'océan avec son fragile coucou. Bien sûr, je laissai un bon pourboire pour Doudou en pensant aux pauvres tirailleurs morts pour la patrie.
Le lendemain, nous sommes entrés dans le magasin de mode de Rama Diaw que Brigitte et Emmanuel avaient visité dimanche.
Puis nous avons glissé un autre pourboire au gardien de l’Hôtel de la Poste pour jeter un coup d’œil à la chambre 219, celle du héros de l'aéropostale qui disait : Ce qui serait un accident pour nous, ce serait de mourir dans notre lit. Il n'y est pas mort !
Mais l’histoire militaire fut la plus forte. Entré dans une librairie de livres d’occasion, j’y trouvai un Péguy-Senghor publié en 95 par mon collègue J-F Durand. Jacques, mon père, y avait signé un article que je ne connaissais pas intitulé Péguy soldat de la république. J’ai acheté le livre et lu l’article immédiatement.
Il évoquait d’abord la pâleur de deux soldats noirs malades qu’il avait vus dans les Vosges en janvier 40, grelottant de froid. Jacques était alors engagé volontaire pour combattre Hitler sur les traces de son père, Albert, qui avait fait toute la Grande Guerre (j’ai publié ses Lettres à Léa, adressées à sa femme, aux éditions de l’Aube). L’un des combats de mon père fut de montrer que Péguy avait raison de vouloir résister à l’Allemagne en 1914 et que, par conséquent, les tirailleurs sénégalais n'étaient pas morts pour rien. L’article attaque Jaurès qui entretenait l’illusion que les syndicats allemands déclencheraient une grève générale qui rendrait la guerre impossible, et Romain Rolland, célébré par Stefan Zweig, qui ne faisait pas de différence entre les belligérants, et que Proust plaçait pour cette raison au dessous de la mêlée en 1916. Mais le principal adversaire de Jacques est Henri Guillemin, si sévère envers Péguy et que j’ai si souvent entendu fustiger à la maison ainsi que Sartre et Madeleine Rebérioux, ses cibles préférées. Les marxistes en effet minimisaient la responsabilité de l’Allemagne pour justifier le retrait russe de 1917.
Le fond de la chose est que Jacques met sans cesse en évidence le pangermanisme d'un État qui, en 1914 comme en 1940, se croit destiné à « conduire les autres races » : Deutschland über alles. La Revue indépendante de Pierre Leroux et George Sand mettait déjà en garde en 1843, sous la plume d’Alexandre Weill, juif alsacien, contre le parti teutonico-germanique qui n’avait jamais accepté la révolution française. Guillaume 1er devenu empereur grâce à Bismarck avait pour obsession de prendre sa revanche sur l'ère ouverte par l'an I de la République française.
Photo : Soldats sénégalais au camp de Mailly par Félix Vallotton en 1917.