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Un autre discours de Dakar


Je vais certainement, cher lecteur qui n'avez jamais franchi le sahara, consacrer plusieurs billets à mes impressions de voyage au Sénégal.

Nicolas Sarkozy avait pourtant bien commencé son discours de Dakar, il y a déjà dix ans, en dénonçant l’esclavage et le colonialisme, mais tout s’est gâté quand il s’est mis à parler de l’homme africain qui n’est pas assez entré dans l’histoire et du paysan qui empêche le progrès en répétant toujours les mêmes gestes et les mêmes paroles. Il me semble cependant qu’on a hurlé mal à propos.

Sarkozy ne faisait en réalité que rabâcher le B. A. BA de l’anthropologie : la modernisation du monde, qui a commencé en Grèce au V° siècle avant J-C et continué en Europe à la Renaissance, est en train de bouleverser le monde. Tous les peuples s’arrachent à leurs traditions en ordre dispersé et on peut bien dire que les Africains ne sont pas en tête de course. Mais est-ce si souhaitable ?

J’ai vu au Sénégal des villes surpeuplées par l’exode rural, sans réseau de transport ni d’assainissement convenable. On m’a dit que beaucoup de gens ne faisaient qu’un repas par jour et se reposaient la même question chaque matin : comment se procurer de quoi remplir ce soir la gamelle familiale, sachant que les femmes ont encore cinq enfants chacune ? J’ai pensé au personnage du Neveu de Rameau : "Un écu de plus ou un jour de moins à vivre, c’est tout un."

J’ai vu un peuple élégant et gracieux guetté par les supermarchés pourvoyeurs de sodas et de cent autres poisons sucrés et salés.

J’ai entendu beaucoup de gens se plaindre de la corruption qui paralyse toute réforme au profit de bourgeois pleins de graisse, comme disait Jacques, allant dépenser à Paris le produit de leur vol et paradant en 4 x 4 flambants neuf.

J’ai vu le long des routes de brousse pleines de nids de poules des publicités vantant des villas avec piscine avec négresses blondes et gazons peints en vert.

J’ai respiré sur la route du port de Mbour l’intolérable odeur de mazout brûlé craché par des théories de camions frigorifiques.

J’ai entendu dire que tout ce qui venait de l’étranger était meilleur, par exemple le riz concassé de Thaïlande et l’oignon de je ne sais où, alors que le Sénégal est producteur de riz et d’oignons.

J’ai vu des dépotoirs de sachets en plastique de toutes couleurs souiller par millions de tonnes les plages, les trottoirs des villes et le bord des routes, s’accrochant aux épines des acacias dans la brousse.

Mais j’ai surtout vu le travail admirable que réalisent plusieurs associations et coopératives tournées vers l’agriculture et l’élevage raisonnés, vers la santé, l’éducation et l’artisanat, qui refusent de vendre la terre à des Chinois ou des Indiens. Près de Lompoul, Camp du désert – Esprit d’Afrique organise dans des tentes mauritaniennes un tourisme équitable alimenté par une ferme écologique où des jeunes du village voisin font sortir du sable des légumes et du fourrage pour des vaches, des chèvres et des moutons. Notre guide, Abdou (galass007@yahoo.fr) nous a fait découvrir le groupement des jeunes éleveurs du Guelack (oussiw@yahoo.fr) qui fait de même. Il recycle la bouse des vaches pour produire du gaz qui alimente les fourneaux et de l’engrais pour les légumes. La fiente des pigeons alimente le bassin où prolifèrent les poissons-chats. Les ventes au marché financent une école, une maison de santé et l’artisanat fait par des femmes. Nous avons acheté des batiks et des confitures de bissah. À Saint-Louis, l'atelier Tëss pratique et sauvegarde les techniques de tissage ancestrales (396, rue Xalifa Ababacar Styx Flamand).

Conclusion : 1) le progrès assurément, mais surtout pas en tournant le dos aux traditions paysannes : c’est à partir d’elles et avec elles qu’on arrivera à bifurquer loin d’une modernisation dévastatrice. Pas en la prolongeant mais en la courcircuitant. En d'autres termes, le salut de l'Afrique passe par le renouveau des cultures vivrières pratiquées de façon intensive. 2) Quand le marché et l’État sont en échec ou ne suffisent pas, c'est à l'association d'ouvrir un troisième pôle.

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