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Mai 68 et sa double radicalité


Mai 68 peut se lire comme une sorte de prise de relai en matière de contestation radicale. Deux radicalités étaient au coude à coude avant que Marx et Lénine soient distancés par le Foucault et Bourdieu.

Sous les trois espèces soviétique, trotskiste et maoïste, le marxisme-léninisme brillait de ses derniers feux dans les années 60. Louis Althusser avait redoré son blason avec la coupure épistémologique et l'anti-humanisme théorique. Sans attendre la chute du mur de Berlin vingt ans plus tard, deux livres signalèrent la fin des illusions chinoise et soviétique, Les Habits neufs du Président Mao de Simon Leys en 1971 et L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne en 73. L’intelligentsia française eut beau accumuler les dénégations à Tel Quel et au Monde, il fallu convenir que le château de carte était à terre. Alain Badiou subsiste comme une butte témoin.

Au même moment qu’Althusser, son ami Michel Foucault développait une contestation tout aussi radicale marquée par l’abandon du projet révolutionnaire. Chez Bourdieu non plus ne se trouve plus de perspective alternative globale. La domination devient un concept pluriel dont le Bourgeois n’est plus la figure essentielle : le Père, le Maître, le Mâle, mais aussi le journaliste, le dirigeant syndical, etc. exercent leur domination spécifique, deviennent des figures du Pouvoir. Foucault ne s’intéresse guère à la classe ouvrière, ni à l’intellectuel universel façon Sartre mais à l’intellectuel spécifique, le juge, le professeur, le médecin, l’ingénieur, le travailleur social, témoins de la domination sous ses formes multiples et innombrables. Les luttes doivent donc se disséminer : les femmes, les homosexuels, les émigrés, les fous, les lycéens, les soldats. Demeuré marxiste, Gilles Deleuze observa lui aussi l’omniprésence de la répression exercée contre le désir. La radicalité de la pensée française était double chez les intellectuels selon qu’ils concentraient leurs flèches sur le seul capitalisme ou sur les nombreux avatars du Pouvoir et de la Domination.

Comment ne pas approuver les combats de Bourdieu contre la misère du monde, ceux de Foucault contre la condition des fous dans les asiles, des femmes sous le patriarcat, des homosexuels stigmatisés, des lycéens soumis au règlement, etc. ? C’est la radicalité de cette contestation qui me semble faire gros problème. Je le répète, la ligne politique que je soutiens devant vous, cher lecteur interrogatif, c’est la république sociale (= socialisme républicain), c’est-à-dire la Déclaration des droits de 1793, que Jaurès qualifiait de socialiste, les réformes du printemps 1848, les lois scolaires de Jules Ferry, l’œuvre du Front Populaire, les réformes gaullistes de 1945, les accords de Grenelle.

La critique radicale de Foucault ne permet d’établir aucune distinction entre le Goulag soviétique, le Laogaï chinois et la France gaulliste dont il disait : « Nul de nous n’est sûr d’échapper à la prison. Aujourd’hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours, le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes ; le délit d’opinion est réapparu ; les mesures anti-drogue multiplient l’arbitraire. Nous sommes sous le signe de la garde à vue. » Foucault développa en effet au sujet du pouvoir gaulliste la métaphore du Panopticon, cette prison où les gestes de chaque prisonnier étaient épiés à parti d’une tour centrale. Pendant que la Cinquième république était vue comme totalitaire, la Première, celle qui abusa tant de la guillotine était donnée en exemple par Foucault en novembre de la même année 1971 : « Quand le prolétariat prendra le pouvoir, il se peut qu’il exerce à l’égard des classes dont il vient de triompher un pouvoir violent, dictatorial et même sanglant. Je ne vois pas quelle objection on peut faire à cela. »

L’école et la santé sont gratuites en France, pays du monde où l’État-Providence est le plus développé malgré les 1000 soucis que nous avons. Voilà pourquoi l’exaltation accusatrice qui fut prégnante des années durant chez les fonctionnaires de l’école républicaine, à la Sorbonne, au lycée Henry IV, à l’ENS, au Collège de France même, et qui continue à beaucoup influencer notre intellingentsia, me paraît faire fausse route.

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