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La Mère coupable


Vu mardi soir à l’opéra de Marseille un excellent Barbier de Séville de Rossini. Une mention pour L’Air de la calomnie. Après, il faut reconnaître qu’il y a de la broussaille dans l'intrigue et que je sujet n’est pas neuf. Molière avait imaginé le même scénario féministe, il faut le rappeler aux chroniqueuses qui, oubliant Figaro, font semblant de croire que tout ne fut que brutalité masculine dans la culture française. Et j’ai repensé aux magnifiques pages consacrées par Péguy à La Mère coupable, troisième pièce de Beaumarchais, suite des deux autres. C’est dans Clio, dialogue de l’histoire et de l’âme païenne. Péguy remarque que l’air de Malbrough, si vieille France, inspira aussi bien à Hugo les terribles rimes en –ère du Sacre dans Les Châtiments (misère, cimetière, pierre, suaire) que la si gracieuse romance de Chérubin dans Le Mariage de Figaro :


J’avais une marraine

(Que mon cœur, mon cœur a de peine.)


Je ne sais pas pourquoi, dit l’histoire, on ne parle jamais de La mère coupable, écrite en 1792, après le Barbier en 1775 et le Mariage en 1784. On la traite comme une Fanchon ou une Cendrillon. C’est pourtant la mieux construite des trois. C’est qu’entre 1784 et 1792, il s’était passé quelque chose, dit l’histoire. Mais le droit d’aînesse que la Révolution a combattu a encore joué en défaveur de la dernière née. La Mère coupable n’eut pas la première triomphale du Mariage applaudi par la cour, elle n'avait pas eu autant de fées autour de son berceau, et, en 1792, il y avait d’autres premières que celle-là…

Beaumarchais a signé un deuxième Tartuffe, ce Bégearss (drôle de nom !) venu séduire la fille de la maison, mais après le Tartuffe clérical, il fallait nourrir le Tartuffe humanitaire.

Mais ce qui intéresse Péguy, c'est que La Mère coupable, est consacrée au vieillissement, c’est sa grande originalité ! Vingt ans ont passé, comme chez AD. La scène n’est plus à Séville mais, prosaïquement, à Paris. Les personnages ont 40 ans. Quelle différence de temps et de ton ! Ce drame, car La Mère coupable n’est plus une comédie, est un témoignage de ce que sont devenus l’homme et la femme de 40 ans, avec le mariage et le ménage. Le temps et la vie ont passé. Nous voyons revenir des doubles des professionnels de la jeunesse qu'étaient les personnages du Barbier et du Mariage : c’est donc là le comte ! C’est donc là Rosine, la comtesse !

Car la mère coupable, c’est Rosine, qui, par quelque surprise a eu un fils de Chérubin ! Et ce fils, c’est le chevalier Léon ! Et si, à l’ouverture, Rosine en deuil pleure, un bouquet des fleurs noires à la main , c’est parce que c’est l’anniversaire de la mort de Chérubin dont elle se souvient, Un certain Léon d’Astorga, qui fut jadis mon page et que l’on nommait Chérubin. Je n’ai pas compté combien de fois Péguy répète cette phrase. Chérubin avait donc un nom de famille, comme tout le monde, et un fils qui porte le même prénom que lui ! La pièce sur-titrée L’autre Tartuffe aurait pu s’appeler L’autre Chérubin. Comme ces imparfaits sont mélancoliques : Un certain Léon d’Astorga, qui fut jadis mon page et que l’on nommait Chérubin.

"Puisque je ne puis plus vous voir, dit le billet de Chérubin écrit avec son sang, la vie m’est odieuse et je vais la perdre avec joie dans la vive attaque d’un fort où je ne suis point commandé. » On pense à Bara, on pense à Viala, ces hussards de la Républiques tués à 14 ans. Et Péguy de répéter plusieurs fois : Je vais la perdre avec joie dans la vive attaque d’un fort où je ne suis point commandé. Rien ne vaut les réalisations, dit Péguy, mais comment ne pas se retourner avec mélancolie sur la première pureté, comme Musset, sur le temps où la vie n'était que promesses ? Plus loin, Péguy revient sur l’homme de 40 ans. Nous le connaissons, cet homme. Il a 40 ans, il sait donc. Quoi ? Et Péguy fait attendre ce secret deux grandes pages de mon édition de la Pléiade (éd. 1961), les pages 228 et 229 : Il sait que l’on n’est pas heureux.

Mais il a naturellement un fils de 14 ans et il n’a qu’une pensée, c’est que son fils soit heureux…

J’ai résumé cinquante page de Clio.


Photos : Joseph Bara par Jean-Joseph Weerts, 1882, musée de la Piscine à Roubaix. Péguy aux cahiers de la quinzaine.

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