Le Bureau des légendes
Maintenant que je vous ai raconté mon dimanche, chers lecteurs de la ville, il faut que je vous raconte mon samedi. Il s’agissait de brûler les branches d’amandiers coupées le mois d’avant. « Le secret de la fructification, c’est la taille », a dit Madame Gonthier. Les arbres se reproduisent quand ils se sentent menacés. J’avais donc des montagnes de branches à faire disparaître. Même en y versant du mazout, j’ai eu beaucoup de mal à enflammer les branches encore vertes. Il s’agissait d’approvisionner le foyer au fur et à mesure avec les petites branches après avoir coupé les rondins qui iraient dans la cheminée : tronçonneuse et brouette.
Le visage de Malotru, le héros du Bureau des légendes revenait sans arrêt se superposer aux flammes. Hier soir, sous la couette, nous avons regardé, Michèle et moi, les deux derniers épisodes de cette série, grâce au casque qui a changé notre vie de téléspectateurs, et nous voici en manque, grave ! Pour nous consoler, au Furet, lors de notre voyage à Lille pour voir l'expo J-F Millet, Vincent nous a offert Baron noir, mais ce ne sera pas pareil... C’est comme si on offre un autre chat à qui a perdu le sien. Ce n’est pas un autre, c’est celui qu’on a perdu qu’on revoudrait ! La brebis perdue...
Je rapporterai trois scènes. Ne lisez surtout pas, cher lecteur, si vous n’avez pas encore vu le Bureau !
Dans la première, Marie-Jeanne clôt son petit discours d’adieu à Henri, le patron du bureau Moyen-Orient de la DGSE qui prend sa retraite par un chaleureux Au revoir papa ! Au revoir les enfants, répond Henri. Mais il repart, les épaules un peu voûtées (James Bond est loin !), pour une dernière mission, dont il ne reviendra pas, afin de sauver Malotru, de son pseudo, le meilleur clandé, tombé aux griffes de Daesh.
Marie-Jeanne avait bien prévenu : à la DGSE, chacun doit avoir deux cercles qui ne se recoupent jamais : ses contacts professionnels et sa vie privée. C’est ainsi que Marina, au sourire si ingénu, laisse aller à une mort probable Shapur qui a été sévèrement tabassé par la sécurité iranienne. Ainsi n’a pas fait, Malotru, qui s’est épris d’une belle agente syrienne. Pour la sortir des prisons de Bachar el-Assad, il est passé à la CIA. Captif de Daesh, il a vécu des mois horribles : torture, faim, épuisement, simulacres d’exécution. Finalement sauvé grâce à Henri et à un drone américain, il se retrouve sur un navire, gardé par la CIA et la DGSE. Filmé pendant des heures à tout encaisser sans prononcer un mot, le voici qui s’écroule en sanglots dans les bras d’une autre transfuge de la DGSE. C’est ma deuxième scène. Mais il ne perd pas le nord pour autant et, quand Sisteron, autre pseudo, a jugé que cette effusion avait assez duré, plus de Malotru ! La cabine est vide ! Il a pris la fille de l’air !
Ma troisième scène est encore plus belle. Ne lisez surtout pas, lecteur encore vierge ! Toujours traqué, sans identité avouable, planqué à la campagne, Malotru est parvenu à ménager un rendez-vous nocturne avec Nadia qu'il n'a plus vue depuis si longtemps ! Mais ne jamais relâcher la garde ! De précautions, jamais assez. Il y aura donc trois questions codées entre Nadia et lui. Elle l’attend et, à son appel téléphonique, elle doit répondre par l’affirmative à la troisième si le champ est libre. Mais la DGSE a préparé une souricière. À la troisième question « On va se retrouver ? », elle répond donc, après un temps, avec une voix éteinte : « En as-tu vraiment envie ? »
Régis Debray dit que le cinéma est impuissant à faire connaître la vie intérieure comme les romans. Je n’oublierai pourtant jamais le visage de Malotru qui se ferme en éteignant le téléphone. Il descend avant l’arrêt de l’autocar de campagne et rentre à pied dans la nuit, accompagné de son seul chien. Bravo Éric Rochant ! Merci, Paul !
Le soir, je suis revenu voir l’état de mon foyer, un énorme tas de braises que le vent attisait quand je les remuais avec le râteau en ramenant vers le centre les branches éparpillées. Longtemps, le brasillement continua à clignoter dans la nuit comme le Caire avant l’atterrissage, jusqu’à ce que je me décide à y verser 4 seaux d’eau qui transformèrent le tout en charbon fumant.