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Un dimanche à la campagne

M’étant présenté comme agriculteur, il me vient à l’esprit de vous dire un mot de ma double vie et de la modification qui se produit quand on quitte la quiétude chaudement polluée de la ville pour aller se changer au garage, enfiler la pantalon de velours glacé, retourner ses godillots raidis par la boue avant de les enfiler, crainte d’un gravier, d’une croix de Saint-André, d’un insecte ou d’un escargot. Superposer 3 pull over, assuré que les trous ne coïncideront jamais, et mettre sur l’épaule pioche, bêche et râteau, la petite masse et le burin dans la main gauche.

Il est neuf heures. La brume n’est pas encore dissipée. J’ai un muret de pierres sèches à remonter en haut du champ d’oliviers. Une restanque de 60 centimètres de haut sur 30 mètres de long soutient le champ d’amandiers au dessus, des princesses et des sultanes à coque tendre. J’ai fini par demander à Laurent avec sa mini-pelle d’arracher les amandiers sauvages qui poussaient dans le mur. Il a dû creuser assez profond pour arracher les racines et le mur est informe en plusieurs places.

D’abord faire le ménage, comme le dentiste. Disposer toutes les pierres, petites et grosses en haut du mur pour ne pas les avoir dans les jambes et pour bien pouvoir les choisir. Bien tout nettoyer au râteau. Creuser un peu à la base des parties à remonter pour assurer un minimum de fondation. Déchausser à la pioche les pierres déplacées pour repartir sur du bon, non sans déranger des cimetières d’escargots.

Alors commence le jeu de reconstruction. Tendre une bonne corde d’un bout à l’autre du mur. Placer les plus grosses pierres à la base. Choisir chacune selon le besoin, la tourner jusqu’à ce qu’elle trouve sa place. C’est un puzzle en 3 D. Presque que des pierres tordues, mais le jeu est de faire une forme avec de l’informe. Pour être solide, c’est-à-dire beau comme disent les gens de la ville, n’est-ce pas, mes lecteurs ? le mur doit être rectiligne et avoir du fruit, c’est-à-dire être légèrement incliné vers l’intérieur. Rien de pire qu’un mur qui fait la danse du ventre. J’en ai fait ! Attention aussi à ne pas laisser traîner un doigt entre deux pierres. Malgré le gant, un ongle pilé reste noir un an ! Intolérable dans les dîners en ville ! Donc, à chaque fois, trouver la bonne pierre, quitte à lui casser le nez d’un coup de masse si elle comporte une mauvaise pointe. Glisser parfois une petite cale. À chaque fois, prendre trois mètres de recul pour voir s’il n’y a pas de grimace et refaire si c’est le cas. Jamais de colonne : les pierres doivent toujours se chevaucher. Vérifier aussi dans le sens de la longueur si la ligne et le fruit sont parfaits, en fermant un œil. Onze heures, le soleil commence à chauffer car le mistral ne s’est pas réveillé. Me voici en chemise. Le premier rang de pierres est toujours le plus difficile. Quand il est en place, bien bourrer derrière avec les plus mauvaises pierres et de la terre tassée avec le dos de la bêche ou en jouant au rouleau compresseur en piétinant à petits pas. Et attaquer le rang suivant. Ça va de plus en plus vite. On dispose les pierres à plat, autant que possible, mais une chose qui est jolie (nous avons aussi notre coquetterie !), c’est de finir par un rang de pierres placées de champ, comme un ratelier. L’idéal, c’est qu’on ne voie qu’une tête.

Les fleurs des amandiers sont en boutons. Derrière, le Luberon galope comme un troupeau d'éléphants bleus. Dimanche prochain aura lieu l’explosion en blanc et en rose dont l’odeur sucrée enivre les abeilles.






 
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