Comment l'âne entra dans l'église
J'avais copié, cher lecteur, il y a plusieurs semaines, un admirable texte de Michelet sur les animaux dans la crèche et j'avais été un peu triste de voir qu'il n'avait pas eu beaucoup de lecteurs. L'occasion m'est fournie d'en reproduire au moins une partie :
Le christianisme, malgré son esprit de douceur, ne renoua pas avec l'ancienne union. Il garda contre la nature un préjugé judaïque. Le christianisme tint la nature animale à une distance infinie de l'homme et la ravala. Les animaux symboliques qui accompagnent les évangélistes, le froid allégorisme de l'agneau et de la colombe ne relèvent pas la bête. Le Christ, dans l'Évangile n'a-t-il pas permis aux démons de s'emparer des pourceaux ?
Le pauvre serf des campagne qui voit le Diable, sous figure de bête, sculpté au porche des églises a peur en revenant chez lui de le retrouver dans ses bêtes. Celles-ci prennent le soir, aux mobiles reflets du foyer, un aspect fantastique ; le taureau a un masque étrange, la chèvre une mine équivoque, et que penser du chat dont le poil, dès qu'on le touche, jette du feu dans la nuit ?
On veut bien recevoir l'animal dans l'Église, mais c'est pour lui jeter de l'eau bénite, l'exorciser en quelque sorte, et seulement au parvis... "Homme simple, laisse là ta bête, entre seul. La bête a-t-elle une âme ? " N'importe, notre homme s'obstine ; il écoute avec respect mais ne se soucie de comprendre. Il ne veut pas être sauvé seul et sans les siens. Pourquoi son bœuf et son âne ne feraient-ils pas leur salut avec le chien de saint Paulin ? Ils ont bien autant travaillé ! Je prendrai le jour de Noël où l'Église est en famille. Nous passerons tous, ma femme, mon enfant, mon âne... Lui aussi, il a été à Bethléem, il a porté notre Seigneur. Il faut bien, en récompense, que la pauvre bête ait son jour.
C'était un grand spectacle, touchant, plus que risible encore, lorsque la bête du peuple était, malgré les défenses des évêques et des conciles, amenée par lui dans l'église. Humblement, mais assurément, l'animal allait droit à la crèche. Il y écoutait l'office, et comme un chrétien baptisé, s'agenouillait dévotement...
Je trouve que les bonnes fêtes de fin d'année qu'on se souhaite en ce jour sont un peu une façon de noyer le poisson. Je préfère donc vous souhaiter un très beau Noël, chers lecteurs baptisés et non baptisés, en se souvenant avec Michelet que la crèche est l'abri des pauvres : Il ne restait plus de place à l'hôtellerie...