Vous êtes républicain ?
J’ai eu la chance de participer hier à la soirée de lancement du Que sais-je ? nouvelle formule Les 100 mots de la République auquel j’ai donné l’entrée Pierre Leroux. Cette réception très cordiale fut l’occasion de faire la connaissance de son éditeur, de ses directeurs, de bon nombre de ses auteurs, et de vérifier ce que la lecture m’avait déjà montré, une belle cohérence des approches sur des thèmes parfois sensibles. Impossible de rendre compte en une page d’un livre si concis, clair et instructif. Mais quelques notes.
La République émancipa les prolétaires, les juifs, les protestants et les noirs des colonies, tous ces persécutés. L’entrée Esclavage rappelle que l’esclavage fut proclamé « lèse humanité » à la Constituante le 5 février 1794, soit un siècle et demi avant que le Tribunal de Nuremberg ne pose la notion de Crime contre l’humanité. Mais quelques pages plus loin, l’entrée Colonisation doit commencer en citant Senghor pour qui « la France dit bien la voie droite mais chemine par les sentiers obliques ». L’entrée Patriotisme porte sur cette ambivalence : condition de la liberté et de la fraternité des patries, le patriotisme a plusieurs fois connu des dérives « chauvines ou bellicistes ».
Il n’y a pas, à mon sens, deux fraternités, la fraternité chrétienne et la fraternité républicaine. La république est au contraire la synthèse de la liberté antique, de la fraternité chrétienne et de l’égalité rousseauiste. Que de déchirements pourtant ! Dans un article bien inspirant Êtes-vous démocrate ou républicain ? Régis Debray avait rappelé en 1989 que si les révolutions démocratiques se sont produites en France contre la religion catholique, c’est au contraire avec l’appui des religions réformées que les pays anglo-saxons se sont émancipés des hiérarchies. À de rares exceptions près, les évêques de France furent vichyssois comme ils avaient été antidreyfusards, rappelle l’article Église. Cependant, le ralliement de l’Église à la République commença à la fin du XIX° siècle sous Léon XIII, un événement considérable dont les Français n’ont peut-être pas assez conscience.
Autre point sensible, les rapports de la république avec le socialisme. S’il n’existe qu’une fraternité, il existe deux égalités, l’égalité politico-juridique et l’égalité sociale. C’est pourquoi nous avons une gauche et une droite qui s’entretuèrent en juin 1848 et sous la Commune. Il nous faut absolument les deux égalités ensemble ! On ne sait que trop où conduisit le mépris des formes constitutionnelles et juridiques dans les Républiques soviétiques et assimilées, mais l’entrée République sociale cite le mot de d’Armand Marrast à la tribune de l’Assemblée en 1849 : si la loi se contentait de garantir la liberté, « elle la détruirait en la proclamant ». L’égalité en matière d’éducation, de santé et de travail fait donc partie du programme de la république. L’entrée Robespierre montre que celui qui incarne le dérapage de la république vers la Terreur fut aussi le premier à faire voter des droits sociaux. Pierre Leroux aimait citer la Déclaration de Droits de 1793 qui disait dans ses articles 7 et 11 que la propriété n’est « pas un fait naturel, mais un fait social, soumis au contrôle suprême de la société. » Jaurès affirmait de son côté que la Révolution avait été socialiste par bien des côtés. L’entrée Jaurès montre en effet que Jaurès fut aussi républicain que socialiste, continuant en cela la voie ouverte par Pierre Leroux en 1834.
L'entrée Religion républicaine évoque les rituels républicains publics et privés (mariage, enterrement) et renvoie à la « foi laïque » chère à Rousseau, Michelet, Quinet, Jaurès, permettant, je souligne la formule, une manifestation de la transcendance dans l’immanence. Si la République semble aujourd’hui faire l’unanimité en France, l’article [Vichy] (je reproduis les crochets) conclut cependant Les 100 mots en affirmant que ce n’est pas d’un trop-plein que nous souffrons mais d’un déficit d’esprit républicain. Et, à propos d’esprit, j’ai apprécié l’entrée Université qui montre que celle-ci est par essence un lieu républicain puisqu’elle partage l’ambition de transmettre un savoir universel de maîtres à étudiants.
Michel Houellebecq a pourtant pu écrire un livre provocateur, qui se passe justement à l’université, affirmant que la république était morte et n’avait plus qu’à se convertir à l’islam. Les 100 mots comportent justement une entrée République islamique consacrée à l’Iran qu’on pourra lire en regard. J’ai pris la peine de répondre à MH dans mon essai La République insoumise. Réponse à Michel Houellebecq, Éd. Mimésis.