Le renouveau de l'art contemporain
La route de Saint-Rémy à Cavaillon
Le renouveau de l'art contemporain a déjà commencé. Je l'ai rencontré grâce à Julia, à Charlotte, à Emmanuelle. Il n’est pas anodin que ce nouvel élan surgisse en province et en Provence.
En attendant l'ouverture de la Fondation Van Gogh à 11 heures, j'ai passé deux excellentes heures ce matin au café Malarte d’Arles à lire une grande enquête consacrée par Le Monde de mardi aux Solutions pour enrayer la surchauffe : oublier les ressources fossiles, restaurer les forêts, diminuer de 50 % notre consommation de produits animaux, réduire et trier les déchets, purifier les transports, etc.
La veille, Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani avaient donné dans les salles de la Fondation une conférence sous le titre Quand l'art se rapproche du rustique. Très actives dans la région PACA, ces deux curatrices multiplient sous le chapeau oracular/vernacular des expositions et conférences dont je résumerai la thématique en la disant organique en deux sens. Organique comme la terre, le carbone, la photosynthèse, l’agriculture. Charlotte était émue et émouvante en évoquant son grand-père dans le Cotentin, qui faisait 17 km en sabots pour aller à l’école et apprenait par cœur dans les champs l’unique livre dont il disposait chaque année. Mais organique aussi au sens où la société médiévale pouvait s’inspirer du mot de Saint Paul mis par Pierre Leroux en épigraphe de De l’Humanité : « Quoique nous soyons plusieurs, nous ne sommes qu’un seul corps. » Le thème médiéval et catholique revient tout le temps dans la bouche d’Emmanuelle et de Charlotte, ainsi que les Préraphaëlites anglais, William Morris, les Nazaréens allemands. Elles montrent aussi qu’avant la marée marxiste-léniniste, le mouvement socialiste originel, celui de Saint-Simon et de Pierre Leroux était né de l’idée de combattre l’individualisme et le capitalisme en se souvenant de la société organique médiévale. Finalement, les deux sens du mot organique, le sens chimique et le sens social se rejoignent et résument le programme qui s’impose désormais aux terriens : s'unir pour restaurer un cycle du carbone harmonieux. Nous étions loin du trash et de l’ironie kitch. Cela nous éloignait aussi de Roland Barthes que Charlotte et Emmanuelle avaient fort critiqué en réhabilitant la méthode biographique et nous rapprochait de Michel Houellebecq, ce contempteur du libéralisme et cet admirateur de la Vierge Marie. Moi, je buvais du petit lait !
Au sortir du Malarte, allant mieux voir l’exposition La vie simple/Simplement la vie qui servait de cadre à la conférence, nous avons en la chance de rencontrer Julia Marchand, sa curatrice avec Bice Curiger, qui nous a fait les honneurs. La première salle était consacrée à Jean-François Millet si méprisé en France depuis que l’Église catholique l’a décrié comme subversif au XIX° siècle et les marxistes-léninistes méprisé comme trop catholique et pas assez ouvrier au XX° siècle au point que ses œuvres si enracinées dans la glèbe trouvèrent refuge en Amérique ! Nous avons appris que Van Gogh l’admirait beaucoup. La peinture touchante du labeur paysan fut une découverte pour Michèle et moi.
Nous avons parlé de George Sand et de Giono avec Julia, encore des artistes engagés du côté de la terre et des paysans, qui sortent à peine du purgatoire alors qu’ils montrent la voie de l’avenir, la permaculture. Au terme d’un parcours d’une dizaine d’artistes auxquels ce billet ne prétend pas rendre justice, j’ai été frappé par un film de Jonathas de Andrade montrant des pécheurs brésiliens caressant leurs prises dans les soubresauts de l’agonie. J’ai pensé à cet agriculteur suisse entendu à la radio qui a décidé de tuer lui-même ses vaches après les avoir élevées respectueusement, et aux rituels d’excuses des chasseurs paléotithiques envers leurs proies.
Le Moyen-Âge, Saint-Paul, Leroux, Millet, Sand, Giono, etc. qu'est-ce que ça vient faire avec l'art contemporain s'étonneront ceux qui n'ont pas compris que nous allons droit dans le mur et qu'en art comme en agriculture, toute création étant un recyclage, que Pierre Leroux nommait Circulus, les diverses œuvres exposées à Arles, comme à La Panacée de Montpellier, ce printemps, témoignent qu’au moment où il y a le feu dans la maison, c'est la bifurcation qui s'annonce dans l'art contemporain qui est en phase avec notre époque.
Julia projette une exposition sur Le soleil dispensateur de toute vie et une autre sur La bonne humeur… Vous voyez qu’il ne faut pas désespérer, mon lecteur…
Ceci n'est pas une côte de mammouth extraite du permafrost mais une viande vieillie à 3°, exposée dans le frigidaire-vitrine du Malarte.