Retour sur la Corse

Les élections corses me laissent sur ma faim. On ne parle que d’autonomie par rapport à la France, de retour des prisonniers, de langue corse. Fort bien, mais le problème de la Corse est-il vraiment là ? Pour résumer mon impression d’une semaine en Corse, j’ai intitulé mon billet du 3 décembre La Sauvagerie corse. J’ai vu en réalité deux sauvageries en Corse. Une sauvagerie grandiose mais lugubre, d’une part, celle de ces centaines de villages de montagne à la noble architecture, témoins d’une civilisation agropastorale méditerranéenne, mais en voie d’abandon et, d’autre part, celle d’une modernité sans âme et sans style tout aussi désolante mais pour une raison inverse, c’est que la population y a trouvé refuge souvent dans des conditions sinistres. Les constructions touristiques du bord de mer sont le plus souvent d’une grande platitude et médriocrité, et fermées la moitié de l’année comme les maisons de montagne. Les périphéries des villes sont livrées à une spéculation immobilière et commerciale débridée et anarchique.
Il me semble donc que le problème de la Corse, dans une large mesure, ce n’est pas la France, c’est la Corse, pour ne pas dire les Corses, puisque la spéculation et le désordre sont les effets du clanisme, du clientélisme et de la mafia. Les milieux d’affaire, les milieux politiques et le milieu tout court, c’est-à-dire le crime, sont profondément intriqués. Il est là le mal corse !
Je ne suis pas connaisseur de la question, mais simple lecteur du Monde. Je m’étonne quand le 9 décembre je lis deux pages sur la mafia corse et ses ramifications partout et que le mardi 12 je lis deux pages sur le triomphe de Gilles Simeoni et ses injonctions à Emmanuel Macron de tenir compte du verdict populaire.
On va me dire que les autonomistes combattent le clanisme et que le vote Simeoni, comme le vote Macron et même le vote Trump, participe du dégagisme actuel. Je n’en sais rien et aimerais le croire. Mais suffit-il vraiment d’un vote pour décoller les tentacules de la pieuvre ? J’ai vu le film de Thierry de Peretti Une Vie violente qui montrait le basculement des milieux indépendantistes dans le crime. Tout cela ne mériterait-il pas des analyses et des enquêtes plutôt que des discours creux sur le peuple corse et son identité ? L’identité du peuple corse, ce fut des siècles durant la famille, l’honneur et la religion catholique. Il reste surtout la famille. C’est en effet un trait ethnique puissant et précieux qui s’est perpétué avec une belle résilience, mais qui a son revers. Ce revers, c’est encore une fois le clientélisme. J’attends donc qu’on m’explique comment ce fléau n’est plus à l’ordre du jour, ou si peu. Une autre forme de l’omerta ?
Photo : le couvent de Corbara en Balagne.