De Proust à Jack London

Je parlais récemment de rugosité et de brutalisme (22 nov.). Voici encore ce que, devant aller prochainement à Corte, j'ai trouvé dans un roman corse traduit en français, Murtoriu. Ballade des innocents de Marc Biancarelli. Le narrateur, un écrivain-libraire retourné à la sauvagerie s'emporte contre Proust,
ce type qui se bagarre avec un traversin sur quarante pages. Son traversin, il n'a qu'à se l'enfoncer dans le cul, ce pauvre type. Je ne supporte pas les phrases proustiennes alambiquées, ce style précieux et cette âme parisienne. Je ne saisis pas ce qu'il veut me raconter avec son histoire de traversin, ses conneries de madeleine pour hermaphrodites. Qu'est-ce que je peux avoir en commun avec cette âme-là. Je vis en montagne et je traque le sanglier. Là, mes seuls compagnons sont les corbeaux et les êtres les plus rustres de la création. Le seul désir qui m'anime lorsque je vois les bobos parisiens sur mon écran de télé est de flanquer des gifles sur la tronche des mecs et les fesses des filles. À mon avis, ils ne sont pas ouverts d'esprit tant que ça. Je les vois comme fermés au monde, repliés sur leur orgueil et leur posture arrogante. L'universel, ce n'est pas Proust et sa madeleine, c'est moi, le désespéré des montagnes et tous ces types qui errent sur la route en pleine neige, etc.
Et de citer tous les auteurs qui lui ont sauvé la vie : Jack London, Herman Melville, Stevenson, Conrad, l'immense Hemingway, Miller, Fante, Buk, Norman Maclean, James Dickey, Cormac McCarty, Calaferte, Giono, Céline, Lorca, Neruda, quelques antillais, et le vieux Walt Whitman, Jim Morisson aussi. Un beau programme de lecture dans lequel les Français ne brillent pas si on compte que Calaferte et Giono sont italiens !
Je tire Jack London en tête de la liste. Né quasi orphelin à San Francisco en 1876, Jack fut élevé par une ancienne esclave, mangea beaucoup de vache enragée, dut travailler dur pendant une grande partie de son enfance, vécut en vagabond, autodidacte et alcoolique. Il embarqua à 17 ans sur une goélette pour chasser le phoque dans la mer de Béring, participa à 20 ans à la ruée vers l'or en Alaska d'où il ne ramena que des sujets de romans, couvrit en journaliste la guerre russo-japonaise.
Ai relu Croc-Blanc dans la métro parisien la semaine dernière. Ouverture sur l'immense Wild canadien. Deux hommes sur un traineau trainé par 8 chiens sont poursuivis par une meute de loups "dont les flancs maigres, à chaque mouvement, ondulent sous les côtes". Les loups font le siège, chaque nuit plus affamés, autour du camp et disparaissent à l'aube. D'un homme et de six chiens, il ne reste bientôt plus que les os. Le survivant n'a plus de balles dans son fusil. La flamme seule tient en respect les fauves dont les yeux rouges, brillant comme des braises, se rapprochent un peu plus chaque soir. Lisez la suite...
Puis, par un magistral retournement, le récit met le focus sur la mère de Croc-Blanc, la louve la plus redoutable. Le roman dévie sur les combats des animaux par grands froids et nous dit tout sur la chaîne alimentaire. Une mention pour la lutte du louveteau avec une belette qui l'a saisi à la gorge et fouille dans la fourrure à la recherche de la grosse veine où bouillonne le sang de vie.
Superbe exposition à la Vieille Charité sur la croisière du Snark affrété par Jack grâce à son succès, marié mais pas assagi. Part visiter les îles des mers du Sud, Haway, Fitji, Samoa, Tahiti, Marquises, etc. L'équipage a le mal de mer et ne sait pas naviguer. Jack se plonge dans les manuels de navigation. Aux îles Sandwich, il découvre, toujours dans un manuel, que la navigation jusqu'à Tahiti est impossible. Il appareille et parvient à Tahiti où la presse a publié la nouvelle de son naufrage. Etc.
PS : un lecteur peut-il m'éclairer. Quelle est cette histoire de polochon ?
Photo : Jack avec un naturel anthropophage des îles Salomon.