Histoires d'arc
Un arc et des flèches sont utiles à la chasse, à la guerre et au sport. Cette arme est aussi l’occasion de joutes d’amour-propre, purement symboliques, dont je prendrai l’exemple dans le Mahabharata et dans la littérature taoïste.
Arjuna, le héros de l’épopée indienne, est aussi le meilleur archer. A la fin d’un tournoi dont il est sorti vainqueur, un inconnu nommé Karna se présente et demande à participer. Pour prouver sa capacité, il tue un oiseau en plein vol en visant son reflet dans un bassin. Se sentant menacé, Arjuna le traite de fils de cocher et refuse le duel. L’offense ne sera jamais oubliée. Les deux hommes se retrouveront face à face à la fin de la grande guerre qui oppose les Pandavas et les Kauravas. La rivalité symbolique refusée s’est transformée en duel à mort.
Une parabole tirée de la tradition taoïste raconte au contraire un duel à mort qui se transforme en amitié durable. Lie-tseu, son auteur, rapporte qu’à force d’entraînement, Ki-Tch’ang étant devenu aussi adroit au tir à l’arc que son maître Fei Wei devenu par ce fait son dernier et unique rival, décide de le tuer et le provoque en duel. Mais, comme les deux rivaux sont d’égale adresse, les pointes de leurs flèches se heurtent à mi-distance et tombent sur le sol sans soulever de poussière. Que faire ? Les deux hommes tombent dans les bras l’un de l’autre, comme Achille et Priam, comme Roland et Olivier, et se lient d’amitié de père en fils. [1]
Ces deux histoires, la haine mortelle hindouïste et la réconciliation taoïste illustrent, dans leurs dénouements opposés, les rivalités qui divisent les hommes pour l’acquisition d’un bien immatériel, la priorité, la gloire, le prestige, la reconnaissance. René Girard appelle ces rivalités mimétiques et Pierre Bourdieu symboliques. Ce n’est ni le sexe ni l’argent qui en sont le mobile. Une très belle femme ou une très belle voiture sont assurément, pour un homme, des objets désirables en eux-mêmes mais le prestige, cette valeur ajoutée, est certainement, en pareil cas, un excitant supplémentaire.
[1] Dans La Légende des siècles (Le Mariage de Roland), Hugo fait le récit du duel de Roland et l’Olivier sur une île du Rhône. Ne pouvant venir à bout l’un de l’autre après cinq jours de combat, Roland et Olivier décident de fraterniser : Olivier offre sa sœur, Aude aux bras blancs, en mariage à Roland.