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Mao à Valensol

J'ai été marqué il y a peu d'années par la violence de l'attaque d'une grande page du Monde consacrée à Mao, signée par le grand sinologue Jean-Luc Domenach : "Le grand timonier de la société sans classe fut une ordure de première classe." Tac !

Ce 13 juillet, notre excursion sur le plateau de Valensole parmi les lavandes eut pour fond sonore la profonde voix d'André Malraux. La belle série d'émissions de Philippe Garbit, C'était 1967, reproduisait un entretien de Pierre de Boisdeffe avec l'auteur des Antimémoires. De retour de Chine où il s'était entretenu avec Mao, Malraux parlait de la Révolution culturelle comme de "la tentative psychologique la plus considérable que l'humanité ait jamais connue", à savoir détruire ce qu'il y avait en Chine d'individualisme. Malraux crédita en particulier Malraux d'avoir déraciné le culte des ancêtres, c'est-à-dire les liens du sang constitutifs de la famille. Il concluait que Mao était la plus grande figure de notre époque : "C'est le général de Gaulle qui serait Clemenceau. C'est Staline qui serait Lénine."

Au même moment, Simon Leys préparait pourtant le livre qui fut à la Révolution chinoise ce que sera L'Archipel du Goulag à la Révolution soviétique : Les Habits neufs du président Mao Tsé Toung.

Quand on pense ! Cinquante ans nous séparent de la révolution culturelle chinoise qui a fasciné tant d'intellectuels français, Sartre en tête. Philippe Sollers et Le Monde se sont amendés, Alain Badiou pas. On ne connaissait sans doute pas le nombre de dizaines de millions de morts qui furent victimes de Mao. Ignorait-on davantage les terribles famines provoquées par le Grand bond en avant à l'instar des collectivisations systématiques pratiquées par Lénine et par Staline ? Le plus sidérant peut-être et qui reste un troublant sujet de méditation, c'est l'ivresse collective dont furent victimes les sages de la nation la plus civilisée du monde, n'est-ce pas, mon lecteur ? Une nation qui s'alimentait depuis des millénaires aux sources gréco-romaine et judéo-chrétienne, qui avait fait la Renaissance, la Réforme, la Révolution et la République, qui avait connu les crimes, pêle-mêle, de la Terreur, de la Commune, de la Collaboration et du Colonialisme, qui avait été formée par Montaigne, par Pascal, par Voltaire, par Rousseau et par Hugo, qui avait eu pour mentors Montesquieu, Condorcet, Clemenceau, Jaurès, Blum, de Gaulle, etc, etc.

Le désaoulement a été tardif et n'a pas encore été pris comme sujet d'études. Que s'est-il donc passé pour que les grands sages du pays aient envisagé sans rire de faire table rase du passé (abolition de l'héritage, de la famille, de la religion, de la propriété) et de construire un homme nouveau débarrassé du fléau de l'individualisme, c'est-à-dire de l'amour-propre, de la jalousie, de l'esprit de concurrence, du désir d'appropriation, etc. ?



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