L'empire américain
C'est à partir de la Grande guerre que le centre a commencé à devenir périphérie. En apparence, tout allait bien : la France victorieuse régnait sur un immense empire. Sa culture était au zénith. En réalité, elle était démoralisée par tant de sang versé, c'est-à-dire pacifiste, alors qu' Hitler était né dans l'empire européen. De démission en démission, on aboutit à l'effondrement de juin 40. La décolonisation suivit.
Régis Debray (Civilisation, 2017) montre qu'après avoir été homo religiosus pendant 1000 ans, puis homo politicus pendant trois siècles, le Français appartient désormais à l'espèce homo economicus. Il parle taxe d'habitation et réduction de 15 % à table. Dans le fourgon des Américains qui nous ont sauvés en 1917 et en 1945, s'est logé "l'esprit de commerce qui s'est substitué au commerce des esprits". Je passe sur cent exemples d'américanisation donnés par Debray. La France s'est couverte d'un "bleu manteau de supermarchés". Pourquoi bleu ? Sans doute à cause d'une Europe sans langue, sans passé et sans légende partagée. On y multiplie les musées aux formes avantageuses mais où on baille devant un art abusivement nommé contemporain. Entre parenthèses jusqu'à quand pourra-t-il se nommer ainsi ? Il faudra bien trouver un autre nom comme kitch et trash. On baragouine le globish après le Brexit alors que Charles Quint parlait espagnol à Dieu, italien aux femmes, français aux hommes et allemand à son cheval. Debray file la comparaison de l'empire américain avec l'empire romain : deux machines de guerre, deux langues universelles, du pain et du cirque, un moralisme à toute épreuve. Les frenchies ont succédé aux graeculi : des mauviettes raffinées et peu fiables.
Debray marche sur les pas de Paul Valéry et de Jean-Baptiste Dorosselle : tout empire périra. Ainsi de l'empire français et, un jour prochain, de l'empire américain. Mais il ajoute que mourir veut dire muter. Tout empire qui périt germera en se métissant avec d'autres civilisations. Et de citer Péguy : "Rien de ce qui est ne cesse un beau matin d'être ce qu'il fut." Le triangle isocèle et la philosophie ont survécu à Pydna et la voûte romaine est devenue romane.
Debray ne croit pas au pouvoir d'expansion de l'islam qui n'a pas plus d'image irradiante que le bolchévisme, une fois consumé le premier feu de paille. Alors que l'Amérique est reine de l'image.
Il serait stupide de vouloir arrêter la course du soleil qui va d'est en ouest.
Et la Chine ? Que nous apportera l'empire chinois qui se profile à l'horizon ?