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Les vivants se nourrissent des morts


Ce billet est la suite du précédent où Pierre Leroux montrait que la loi de la vie est que les êtres vivants s'entredévorent les uns les autres. Parmi tous les auteurs socialistes du XIX° siècle, Pierre Leroux est le seul à posséder trois qualités précieuses : il est libéral ; il est ami des poètes ; il est philosophe. J'ai déjà évoqué le socialisme républicain dont il est à la fois le théoricien et le praticien, tellement nécessaire depuis que le socialisme scientifique s'est cassé la figure.

Je reviens donc sur sa philosophie de la vie. Leroux rappelle que les carnivores mangent les herbivores qui mangent l’herbe. Et l’herbe, demande-il, que mange-t-elle ? L’herbe « mange » la terre, laquelle « mange » les déchets et les dépouilles de tous les êtres vivants, carnivores, herbivores et végétaux confondus depuis le commencement du monde. Et Leroux continue :


La simplicité de la loi que nous avons observée dans la nature physique se continue jusque dans la vie la plus immatérielle. Connaître, c’est réellement, en un certain sens, se nourrir de la vie d’un homme antérieur. De même que la vie animale s’entretient en s’assimilant des produits déjà animalisés, de même, la vie humaine, la vie du moi, la vie spirituelle ou immatérielle, s’entretient parce que les hommes s’assimilent les produits déjà spiritualisés par d’autres hommes, par d’autres générations. (Mon Anthologie, p. 213)

Or cette universelle innutrition n'a pas la forme d'un cercle mais d'une spirale, ce qui signifie qu'en se reproduisant, la vie se transforme sans arrêt.


Nous naissons, c’est‑à‑dire à la fois nous sortons de l’humanité antérieure, et nous sommes cette humanité reproduite et vivante. Nous procédons de l’humanité, et pourtant nous sommes en même temps l’humanité qui, sous une forme nouvelle, vient continuer son œuvre et non la répéter. La répéter, ce ne serait pas vivre. La vie s’arrêterait s’il ne s’agissait que de répéter ce qu’elle a déjà accompli. Or, devant cette humanité nouvelle, cette humanité vivante, que devient l’humanité antérieure ? Elle n’est plus qu’un produit, dont l’humanité vivante se nourrira. Elle est morte, comme on dit : or le vivant se nourrit du mort. (Anthologie)


Leroux pense donc en même temps l'évolution des espèces dont il avait connaissance grâce à Jean-Baptiste Lamarck et à Geoffroy Saint-Hilaire et l'histoire humaine. Sa vision de l'histoire implique deux choses : l'idée de raser des tables est un barbarisme aussi absurde que de se caler dans quelque nostalgie que ce soit. Le difficile mais l'indispensable et le juste consiste à se pénétrer de ces deux vérités en même temps.



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