Le plastique, matériau ignoble
Question : qu’est-ce qu’un matériau noble ? Réponse : c’est un matériau qui dure des siècles, qui se bonifie avec le temps comme une façade de pierre ou de brique, un meuble de bois ou une une sacoche en cuir, et qui retourne à la nature sans laisser de traces malfaisantes : une cuillère en bois, une assiette en terre, une bouteille en verre, un couteau en fer, un livre en papier, etc. Marguerite Yourcenar a consacré un bref texte, Le Temps, ce grand sculpteur, à montrer que l’œuvre débute une deuxième vie quand elle est livrée par le sculpteur ou l’architecte : la météo, l’érosion, les accidents, les barbares ont fait la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo autant que Praxitèle ou Phidias. MY avait chipé ce titre à Hugo qui, dans Les Voix intérieures, applaudissait à l’inauguration de l’arc de triomphe en 1836, ce monument républicain et bonapartiste, mais rêvait à ce qu’il serait dans 3000 ans. Quelques vers parmi des centaines :
Il te manque la ride et l’antiquité fière. […]
La vieillesse couronne et la ruine achève.
Il faut à l’édifice un passé dont on rêve,
Deuil, triomphe ou remords. […]
Il faut que le fronton s’effeuille comme un arbre.
Il faut que le lichen, cette rouille du marbre,
De sa lèpre dorée au loin couvre le mur ;
Et que la vétusté, par qui tout art s’efface,
Prenne chaque sculpture et la ronge à la face,
Comme un avide oiseau qui dévore un fruit mûr.
[Mais] le temps, grand semeur de la ronce et du lierre,
Touche les monuments d’une main familière,
Et déchire le livre aux endroits les plus beaux.
Les plastiques sont d’un usage éphémère, sur les 8 milliards de tonnes produits depuis 1950, 6 milliards sont déjà devenus déchets. Ils sont très difficiles à recycler et mettent un millénaire pour se dégrader : briquet, un siècle ; barquette alimentaire, 5 siècles ; sac ou gobelet, un siècle à un millénaire ; polystyrène expansé, 1 millénaire ; carte de crédit, 1 millénaire. Conclusion : le plastique est un matériau ignoble.
Or sa production croît de façon exponentielle dans le monde : 1 million de tonnes en 1950, 8 milliards de tonnes en 2017, 25 milliards prévus en 2050 (Revue Science advances du 9 juillet). Cliquez donc sur <Planetoscope - Statistiques : Production>. Vous y verrez un compteur qui tourne sans arrêt indiquant en temps réel les tonnes de plastique produites dans le monde.
10 % sont recyclés, 10 % sont incinérés, 80 % sont déversés dans la nature, ciel, terre et mer, sans autre forme de procès. Du fond des océans d’où un cachalot échoué en Andalousie en contenait 17 kilos au sommet de l’Everest où on en a retiré 5 tonnes en avril. Le nord de la Méditerranée est pollué par les particules de pneus tandis que les courants amoncellent les sacs en plastique devant la Lybie et l’Égypte. Les planctons s’accumulent sur leurs particules, absorbés par les poissons que nous mangeons. Dans mon champ d’oliviers, cela fait 20 ans que je mets dans ma poche des morceaux de plastique noir de plus en plus petits, restes d'une bâche agricole avec laquelle un voisin négligent a laissé jouer le mistral. Je recueille aussi pour les conserver dans une boite en fer blanc des tessons de poterie, vestiges, je me plais à l’imaginer, des accidents survenus aux repas préparés par leur femme pour combien de générations de paysans aux mains calleuses…
Les magasins de jouets sont devenus « l’empire du hideux », pour reprendre une expression que Bruno Philip applique cruellement à la Chine d’aujoud’hui. Le plastique y est roi avec ses couleurs criardes destinées à corrompre et à conditionner le goût de nos enfants, et avec ses formes monstrueuses ou doucereuses, au choix. On dit que je suis un méchant homme.
À quels saints se vouer ?
1- Aux chimistes qui ont la responsabilité de porter remède aux dégâts qu’ils ont provoqués.
2- Aux politiques à qui il revient d’interdire la gabegie. La France a économisé 80 millions de tonnes de plastique depuis 2015 en interdisant les sacs aux caisses des supermarchés.
3- À nous-mêmes. En cessant de consommer des sodas et des eaux minérales à gogo. En préférant des aliments bruts emballés dans une feuille de papier, en refusant systématiquement les suremballages dont les commerçants sont si généreux, en multipliant par 2 ou par 3 la durée de nos flacons de détergents, dentifrice, etc., en préférant un balai en bois et fibres naturelles, en refusant tant de camelotes à l’obsolescence programmée et tout objet à usage unique (vaisselle, briquet, rasoirs), en faisant un tri sélectif systématique.
Dérisoire et inutile, me dis-je parfois, comme vous, sûrement, mon lecteur. J’ai fait ma part, dit cependant le colibri. Il en va aussi et peut-être surtout de notre rapport intime à la vie universelle, d’une hygiène et d'un art de vivre qui réconcilient égoïsme et altruisme.
No plastoc !!!