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À chacun sa Pâque (souvenir du 6 avril 1327)






Les Chrétiens fêtent la renaissance du Sauveur, les Juifs viennent de fêter leur sortie d'Égypte, les zoroastriens ont fêté Norouz à l'équinoxe, les Égyptiens fêtent le Cham El Nessim, la fête de la brise, et bientôt, ce sera Ramadan.

Au matin 6 avril 1327, dans la ville qu'il appelait la sentine de tous les vices, Pétrarque fut foudroyé sur les marches de l'Église Sainte-Claire par l'apparition de Laure de Sade. Pierre Leroux fait de cette rencontre un modèle : "Si Rousseau fait de Saint‑Preux un exilé sans famille et sans patrie, qui voit un jour s’ouvrir et se fermer à la fois le Ciel dans les yeux d’une femme, il ne fait en cela que raconter, sous des noms différents, l’histoire même de Pétrarque et de Laure."

"Aujourd'hui, se rappelle Rousseau, dans sa Dixième rêverie, jour de Pâques fleuries, il y a cinquante ans de ma première connaissance avec madame de Warens", qui enchanta toute sa vie. Merci à René Bernard-Moulin de me l'avoir rappelé.

Proust a lui aussi célébré le mystère de Pâques quand, dans un jardin de Seine-et-Oise noir et sinistre comme après une pluie de salpêtre il découvrit avec émerveillement la splendeur des poiriers en fleurs. "Les grandes créatures blanches merveilleusement penchées au dessus de l’ombre, ressemblaient à des anges" (La Prisonnière, Pléiade, Clarac, II, 157). Il fut ému aux larmes en pensant à Marie-Madeleine qui prit le Christ ressuscité pour le jardinier dans un autre jardin à la même saison. Il pensa encore à la force de l'amour qui magnifie tout : la maîtresse que son ami Saint-Loup voulait lui faire rencontrer et dont il était fou, c'était la p'tite pute que tout le monde pouvait jadis avoir pour deux balles et pour qui aujourd'hui son ami aurait donné un million ! Ce texte est un hapax puisqu'il célèbre l'amour de façon fort stendhalienne alors que l'auteur de la Recherche ne cesse de le démolir.

Je note que chez Proust comme chez Rousseau et comme chez Pétrarque, la découverte de l'amour se produit le jour de Pâques.

À la même époque, exactement le 5 mai 1900, et sans qu'ils se soient donnés le mot, Péguy raconte dans Entre deux trains, une visite faite, à son ami Pierre Baudoin, en Seine-et-Oise aussi, à l’aube du printemps dans sa maison de campagne. Il décrit "les teintes claires, neuves et blanches des arbres en fleurs semblables aux nuances que les Japonais ont représentées" et dit que "les fleurs utiles des arbres à fruits sont plus belles que les fleurs cultivées par des jardiniers décorateurs. Quelles fleurs de parade, quels catalpas, quels magnolias et quels paulownias seront aussi beaux que ce vieux poirier tout enneigé de ses flocons de fleurs ?"

J'offre à Jacques ce qui lui appartient, ce souvenir de l'incroyable rapprochement des poiriers de Seine-et-Oise chez Proust et chez Péguy.


Photo : Laure et Pétrarque par Maurice Denis.

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